Les ancolies et les jacinthes pointaient dans les jardins, promesses d’éclairs dans toutes les nuances de bleu. Sous nos fenêtres, le geste affectueux entre ces marins rudes, burinés par les intempéries, allant et venant tranquillement sur la place était inhabituel pour nous, voyageurs occidentaux, peu habitués à l’expression de la tendresse amicale entre hommes en public. De forts effluves se dégageaient des ordures chauffées par le soleil de juillet, pénétrant la nuit dans les maisons, poussés par le vent d’ouest qui se levait chaque soir au crépuscule. De gros rongeurs, visibles même en pleine journée, étaient pourchassés par des enfants en haillons qui recevaient une prime en friandises à chaque prise. Tout était là : la luxuriance de la végétation, la crasse au soleil, les humains vaquant à leurs occupations selon leur âge, et le vent emportant chaque soir au loin les bruits et les parfums.
Le rituel du policier était si bien installé que nous finissions par nous inquiéter lorsqu’il tardait à s’annoncer. Après les grattements sur la porte de la chambre, les coups de poings faisaient fuir les geckos rêveurs qui pullulaient au plafond, en attente d’insectes suicidaires. Toujours la même proposition, toujours en turc ; nous mimions à chaque fois notre incompréhension de la langue. Immanquablement, un voisin de chambre traduisait la proposition de change de dollars au marché noir, puis nos dénégations indignées et, dans un éclat de rire, nous présentait le visiteur : c’est la police secrète …
Danielle Fayet