La visite de Louise a tout changé. Pourquoi, me direz-vous ? Eh bien, car elle venait de Bretagne, et nous, nous ne connaissions que la Normandie. Il faut dire que c’était juste après la 2^nde guerre et sa contrée nous était parfaitement étrangère. Oui nous savions la situer sur la carte de France mais c’était à peu près tout. Pourquoi ?

A l’époque, nous étions bien contentes d’avoir obtenu notre bac et notre concours à l’école normale, mais de voir arriver une bretonne, c’était quasiment comme rencontrer les Américains. Parlait-elle français ou breton, était-elle si différente de nous ?

Pourquoi était-elle ici et non chez elle ? En fait, elle nous a dit avoir fui son père qui ne lui donnait comme seul avenir que celui de garder les vaches. Donc, en catimini, avec l’aide de sa mère, elle a pris le premier train en partance pour Rouen avec pour seule caution, sa sœur mariée un militaire.

Pourquoi a-t-elle changé notre vie ? Elle était si drôle, si enjouée mais totalement désargentée. C’est pourquoi elle nous tirait les cartes. Et pourquoi donc ? L’école normale des filles était proche de celle des garçons et le dimanche nous nous contions fleurette. Elle était à l’affût de qui rencontrait qui et nous embobinait en nous laissant penser qu’untel avait des regards appuyés sur une fille. C’est qu’elle savait y faire et nous, on adorait ça, on en redemandait même. Cependant, le service n’était pas gratuit mais on s’en fichait. Pourquoi ?

Eh bien, parce qu’on se prenait au jeu, on savait très bien que nos amours n’étaient qu’amourettes de jeunesse. Pourtant, cela créa parfois des tensions. Pourquoi ? Oh tout simplement à cause des jalousies. Vous savez, entre filles, il y a forcément des frictions et il y a eu, je me souviens, quelques dérapages à son encontre. Elle a donc cessé cette activité, ne désirant pas être la briseuse de couples malgré tout éphémères. Elle s’est reconvertie. Pourquoi ? Mais je viens de l’expliquer, n’ai je pas été claire. Bref, elle s’est lancée dans le recyclage. Déjà, à l’époque ? Mais pourquoi et de quoi ?

Le moindre bout de gomme, de crayon, la moindre règle perdue était monnayée. Nous trouvions qu’elle exagérait, mais finalement les temps étaient durs et chacune se débrouillait comme elle pouvait. Figurez-vous qu’elle a fait bien pire et n’en était pas fière.

Pourquoi ? Aux vacances, elle rentrait chez elle par le train payant évidemment. Pour avoir des économies notables, son beau frère lui imposait de transporter des cigarettes illégalement. Ces fois-là, son éternel sourire disparaissait, son visage portait les stigmates de la honte mais elle n’avait guère le choix.

Aussi parfois, quand elle avait la nostalgie du pays, elle nous racontait des anecdotes de son passé Breton, certaines drôles d’autres fantasques, toutes attachantes. Par exemple, très jeune, alors qu’elle jouait avec sa grand-mère aux dominos et si celle-ci perdait, elle l’injuriait en Breton, elle, si petite. Désormais , on appellerait cela de la maltraitance, tandis que là tout le monde riait.

Pourquoi ? Tout bêtement, ces paysans infatigables n’avaient pas le temps de cerveau disponible pour se préoccuper si telle façon de dire les choses était bien ou mal. On les disait et puis c’est tout. Pourquoi en faire tout un pataquès ?

Parce que maintenant, il est nécessaire de se faire des nœuds au cerveau pour chaque interrogation, ou question posée. Pourquoi répondre simplement ? Parce que ce qui est simple est compréhensible de tous, alors que lorsque c’est alambiqué, on pense la réponse savante donc obligatoirement juste ce qui est notoirement inexact.

Pourquoi donc discuter sans fin ? C’est le plus grand avantage de l’infini, nous ne résolvons qu’une partie de la question, le reste appartient déjà aux générations futures qui la transmettront aux générations futures et cetera et cetera…

Corinne Ayma