« C’est votre dernière heure » Séance d’écriture, invisible temps, imprévisible et pourtant. J’ai la tentation de laisser libre cours à des désirs qu’en aucun cas je n’aurais cru pourvoir assouvir, à des envies que jamais je ne me serais accordée le droit de satisfaire. Mais après tout, à la dernière heure, tout peut être permis, qu’aurais-je à perdre ? Autant en profiter à fond et partir avec un sentiment de plénitude, celui qu’on ressent à l’obtention d’un objet longtemps convoité ou à la réussite de l’épreuve qu’on redoutait. Alors, pour ma dernière heure, que vais-je faire, ou ne pas faire d’ailleurs … Je peux tout aussi bien laisser le temps filer, laisser l’encre couler, les lignes se couvrir de mots légers ou lourds de sens. Je peux simplement rêvasser, penser à ma vie écoulée. J’ouvre les albums photos où défilent les ancêtres et les années. Je ressors les archives familiales, le récit de ma grand’mère, les mémoires de mon grand’père, toutes ces histoires que j’ai complétées au fil de mes recherches généalogiques. Le temps passe sur les photos jaunies, les anecdotes, les actes de naissance ou de décès. Ils me sont devenus familiers ces aïeux que je suis de père en fils, de mère en fille, je les vois s’animer au gré des événements qui ont marqué leur vie. C’est une guirlande qui défile devant moi, un dessin animé qui me plonge dans l’album photos noir de ma mère. J’y revis par séquence les bons moments de mon enfance. Les mauvais ne sont pas photographiés, je les ai gardés longtemps, poids lourds de mes pensées. Maintenant il est temps de les jeter et je souris à l’image de ceux que j’ai souvent détestés. Je tourne les pages, mon stylo glisse sur ma vie qui se déroule sur les lignes d’aujourd’hui. C’est ma dernière heure qui se termine dans un tourbillon de  paysages et de visages des êtres aimés dans l’attente du dernier-né. Le cœur serein, je referme les albums et les range chronologiquement, c’est important. Tout est calme, reposé, je pose mon stylo. Il est l’heure de me quitter.

Annie Brottier