Montre-moi ce tour que tu connais celui qui me fait crier de joie, montre-moi ton secret.
Je veux me désintégrer avec toi.
J’aime ton teint fardé et tes lèvres peintes en rouge, un rouge dégoulinant. Je porte le même.
Le rythme de la basse me met en transe. Je l’écoute pendant des heures. Play it again Simon.
Je partirai avec toi.
Tourbillonnante au bord de l’abîme, tourbillonnante dans l’océan. C’est moi, celle qu’il a perdu et qu’il va retrouver en s’éveillant au bord de la mer. « Boys don’t cry » ? mais si Robert moi je veux que tu pleures d’émotion en me voyant quand tu vas te réveiller. Je vais te consoler. Je suis ton remède.
Je m’appelle Lullaby mais je n’aime plus les berceuses, j’aime celles qui font peur et qui sont susurrées par Robert. J’aime le rock, la pop.
Partir, il fallait partir, écrire au père. Ne plus aller en cours. Fuir l’ennui. Aller au plus près de lui, près de la mer. Prendre le premier train.
Le vent d’octobre sur la plage, un peigne dans le sable, instrument de musique précieux quand on est enfermé dans une armoire normande, pas de place pour glisser la basse.
Le casque sur les oreilles. Le taux de décibels autorisés est largement dépassé. Les doigts de Simon pincent les cordes de sa Fender. Danser frénétiquement sur la plage, les yeux fermés. Il n’y a pas mieux. Mon corps est libre. Mes bras s’animent. Mes jambes vivent enfin.
Des heures de joie, à l’attendre.
Et puis j’ai eu si peur, la main sur l’épaule. J’ai frissonné comme un enfant.
Mademoiselle la gothique… vos papiers !
Dans la chambre de l’adolescente, les murs sont tapissés de posters tirés des magazines. Overdose de l’homme coiffé comme un dessous de bras. Avec son groupe, il est partout. Le père a trouvé la lettre sur le lit, un dessin, un rébus.
Il n’y a pas si longtemps il adorait lui chanter des berceuses. Il adorait la contempler s’endormir.
A présent, il est dépassé, sidéré. Où est-elle ?
Contacter ses amis mais en a-t-elle vraiment ? Les cours ? Elle n’y va plus depuis combien de temps ? Sa mère ? Elle est partie un jour d’octobre, justement…
Il a fallu la décrire à la gendarmerie : pardessus noir, godillots noirs, cheveux noirs ébouriffés, teint blafard, yeux noisette, 1m65, mince très mince, quatorze ans et quelques. Elle aime la mer et The Cure.
Dieu merci, ses nuits blanches n’ont pas duré longtemps. Très vite, il reçoit un appel.
Les gendarmes l’ont retrouvée sur la plage de Calais. Elle voulait voir l’Angleterre.
Karine Lemoine