Son téléphone éteint, posé devant elle, son ordinateur fermé, son compte en banque vidé, Cécile était partie.
Elle avait pris soin de ne laisser aucun indice sur sa destination. Un simple mot, ne t’en fais pas, je reviendrai, pour ne pas faire mourir d’angoisse son mari et ses parents.
La mer l’avait d’abord attirée : un de ces navires marchands qui accueillent quelques passagers.
Mais inutile d’aller si loin, il suffisait qu’on la croie en route vers d’autres continents, elle dont le père marin avait bourlingué pendant une trentaine d’années et dont elle aimait tant les récits.
Non, elle avait opté pour la simplicité : un meublé temporaire, au cœur d’une grande ville non loin d’une médiathèque pour entreprendre ses recherches.
C’est à la lecture du test positif de grossesse qu’elle avait pris sa décision. La résolution qu’elle prendrait engagerait toute sa vie. Elle voulait savoir et pour cela le besoin d’être seule s’était imposé. Elle avait emporté avec elle un seul objet ignoré de tous : un pendentif avec une pierre de lune serti d’or blanc et gravé au dos d’une date, 1880. C’est dans une petite boîte au fond d’un tiroir de commode de sa grand-mère qu’elle l’avait vu pour la première fois, vérifiant régulièrement qu’il était toujours là. Sa grand-mère était morte récemment sans qu’elle lui en ait jamais parlé.
Là était sans doute la clé du caractère de sa grand-mère : une femme uniquement préoccupée d’argent, avare, jamais un cadeau ; et des reproches constants envers ses enfants, teintés d’angoisse absolue de les perdre. Lorsque le père de Cécile lui avait annoncé sa future naissance, elle avait dit : c’est pas la peine de faire un orphelin de plus ! Phrase sibylline qui résonnait à ses oreilles, elle qui enfanterait peut-être à présent.
A la lecture du mot posé sur la table, Hubert avait tressailli ; il avait attendu plusieurs jours avant d’avertir ses beaux-parents. Son beau-père portait en lui une zone d’ombre, une sorte d’énigme indéfinissable qui transparaissait dans son humour à froid, sa posture péremptoire et distante dans les discussions.
L’incompréhension demeurait et les recherches qu’ils avaient entreprises ensemble s’avéraient vaines. Ils étaient choqués.
Après plusieurs mois elle était revenue, apparaissant un matin d’été à la grille de la maison, enceinte de six mois et portant à son cou un pendentif jusqu’alors inconnu. Hubert en était resté paralysé, incapable de réagir, regardant fixement sa femme. Autour de lui le décor s’était effacé. Mille idées lui traversaient la tête en accéléré, sa gorge en étau le privait de parole. Le choc était brutal : le retour, la maternité. L’angoisse le submergeait, le tourmentait. Loin de se jeter à corps perdu dans la joie des retrouvailles, il était dépassé par l’événement.
Elle lui souriait, mettait dans ce sourire et dans son regard tout l’espoir que leurs sentiments étaient intacts. Que rien ne pouvait les éloigner l’un de l’autre ; qu’il comprendrait en la voyant si épanouie et heureuse de rentrer qu’ils se retrouvaient, plus unis que jamais. Elle était débarrassée de tous ses doutes, de ses peurs, avait remonté le fil de l’histoire de sa famille avec cette arrière-grand-mère morte en couches dont il ne restait qu’un pendentif et dont personne ne parlait jamais, dont aucune photo ne témoignait de son existence.
La malédiction était rompue, Cécile portait au grand jour ce bijou, gage d’un possible bonheur futur, limpide à présent comme cette pierre immaculée.
Hubert la regardait éperdu. Elle fit un pas vers lui et, submergé par l’émotion il ouvrit ses bras et ils s’étreignirent pendant un long moment.
Josette Emo