Un petit coin de verdure

Ils s’étaient évadés vers un petit coin de verdure et de fraîcheur qu’ils connaissaient bien, à quelques kilomètres seulement de la ville qui étouffait sous le soleil de juillet. Assis au bord de la rivière, Jacques et Émile, sans même ôter leur veste, s’étaient jetés dans une discussion futile aux yeux de Jeanne et Lucie. L’endroit était peu connu et à l’abri des regards indiscrets. Dès leur arrivée, les deux jeunes femmes s’étaient débarrassées de leurs vêtements pour profiter de la baignade. Rafraîchie, Lucie avait rapidement revêtu sa robe légère pour aller sur l’autre rive guetter les reflets des poissons dans l’eau claire, tandis que Jeanne ayant rejoint les hommes, profitait du soleil pour sécher sa peau nue. Elle ne prêtait pas attention à la conversation et rêvassait, alanguie par la caresse délicate des rayons du soleil qui jouait au travers du feuillage. Elle s’amusait à suivre les ombres mouvantes dessinées sur son corps quand, au travers de ses paupières qui s’alourdissaient, elle aperçut le doigt de Jacques tendu vers elle. Un geste accusateur, un geste dénonciateur ? se demanda-t-elle en se laissant doucement glisser dans l’imaginaire du sommeil, où des yeux braqués sur elle fixaient sa nudité. Ses rondeurs, sa peau laiteuse, sa pose langoureuse, il fallait fuir, s’enfuir vite, échapper à ces regards réprobateurs et menaçants. Et Jeanne s’évada, cherchant à rattraper ses vêtements en lambeaux, envolés au gré du vent et accrochés aux branches. Dans son dos, la meute grossissait, la clameur grandissait, les mains se tendaient pour l’attraper. Elle buta sur les souches, s’écorcha aux buissons, courut à perdre haleine et le feu aux joues, s’enroula dans les lianes et hurla quand une main s’abattit sur son épaule.

Trois visages étaient penchés sur elle, inquiets, trois paires d’yeux qu’elle reconnut dans un soupir de soulagement.  Rentrons maintenant, j’ai froid , balbutia-t-elle tremblante en s’enveloppant dans sa serviette de bain.

Annie Brottier

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