L’arrivée du train de Brive se fit dans un bruit inquiétant présumant de l’état des wagons et de la vétusté des voies. La gare n’accueillait qu’un groupe de cinq personnes, serrées les unes contre les autres, visages fermés dans l’attente. Un homme âgé jouait avec les clés de sa voiture (une BMW), un couple se serrait tendrement, deux jeunes enfants l’entouraient les visages noircis par des coulées de larmes poussiéreuses.
Une jeune femme élégante descendit le marchepied, poussa un cri strident d’enfant excité, salua à grands renforts de gestes et s’approcha du groupe. Personne ne bougea et rapidement son humeur joyeuse stoppa au regard des attitudes fermées de tous. Ils n’avaient pas changé. Même son neveu et sa nièce en dignes successeurs ne souriaient pas à la tante autrefois bien aimée. Quant à son frère, flanqué de sa moitié, il s’acharnait bruyamment sur un chewing-gum en baissant la tête. Le patriarche lui jeta un bienvenue – menteur ! au service de la famille. Le troupeau se dirigea vers la voiture modèle familial sous les aboiements d’un chien mal aimé et oublié sous un banc. Un silence pesant emplit l’habitacle et l’élégante parisienne n’osa pas entamer une conversation ni un questionnement sur la santé de la mère. Mal à l’aise, elle avait besoin d’allumer une cigarette mais s’abstint. Elle avait toujours dû se taire et se faire oublier. Il fallait revivre cette rencontre pour elle. Sa mère seule avait réussi à la déplacer vers cette ville, cet hôpital où elle avait vu le jour. Les enfants coururent vers l’espace de jeux, à l’abandon, et leur mère décida de les surveiller.
Père, fille et fils montèrent les trois étages pour accéder à l’espace réservé aux malades en fin de vie. Alitée, une vieille femme à l’œil lavande les attendait, un cahier à la main.
– Maman, appela doucement la parisienne.
– Ma fille chérie, ma Reine, souffla la patiente.
Elle lui fit signe de s’asseoir sur le lit, au plus près et repoussa aux angles de la chambre les deux hommes. Elle sortit de sous les draps des feuillets froissés qu’elle tendit à sa fille. Le bruit du papier transporta Reine sous les châtaigniers où main dans la main elles se promenaient et remplissaient le panier. Et les confidences douloureuses :
Il ne te touchera pas, tu ne subiras pas ce que j’endure.
Les feuillets, récit d’une vie gâchée par un homme maltraitant, disparurent sous le corsage de la fille. Elle prit la main fripée devenue inerte et vit les yeux de sa grande aimée se brouiller. Le temps de la libération avait sonné pour elles et ensemble.
Attablée au café de la Chartreuse, elle commanda un verre de Promesse du Château Franc Maillet AOP Pomerol et but aux rêves effacés de sa mère.
RMQ