Calme-toi…

Par cette journée radieuse de juin, les enfants étaient autorisés à jouer dans le jardin. Ils s’étaient éparpillés dans tous les coins et l’air vibrait de leur agitation désordonnée. Cris et bousculades des uns, pleurs et jérémiades des autres, disputes, réconciliations d’enfants ordinaires mais pas tout à fait comme les autres, réunis dans cette maison d’accueil pour un temps indéterminé. Chaque cas était différent et demandait une étude et une attention particulière. On faisait grand cas de cet établissement dont la notoriété dépassait maintenant les frontières. Toutes les solutions, tous les traitements étaient envisagés, réfléchis, testés puis tentés pour chaque enfant séparément. Ce jour de printemps précisément faisait partie d’une expérience de mise en collectivité sans surveillance individuelle et fut écourtée rapidement au vu de l’agitation croissante que ce premier essai avait provoqué. Une équipe se chargea de battre le rappel et rassembla les enfants pour rentrer.

Occupée à observer les fourmis dans un petit coin reculé du jardin à l’abri des regards, la fillette n’avait pas entendu le rappel. L’aboiement lointain d’un chien lui fit relever la tête un court instant avant de se replonger dans le fascinant va et vient des insectes qui transportaient en file indienne des morceaux de feuilles découpées trois fois plus grandes qu’elles. L’aboiement se fit plus fort et elle tourna instinctivement la tête vers la route d’où provenait le vrombissement sourd d’un moteur. De plus en plus fort, le bruit se rapprochait, assourdissant. Elle l’entendait rouler dans son oreille, pénétrer son cerveau, vibrer, hurler, de plus en plus fort, de plus en plus vite, de plus en plus près. Elle plaqua ses mains sur ses oreilles mais rien ne pouvait arrêter le vacarme crescendo d’un bolide en furie qui lui martelait les tempes. Un crissement strident, le hurlement de freins déchirant ses tympans, puis plus rien. Le silence pesant qui suivit la glaça. Elle laissa ses paumes glisser le long de ses joues, en attente. Son cerveau s’emplit d’un martèlement sourd, cadencé au rythme de l’angoisse montante qui lui étreignait le cœur, prêt à exploser de peur. Il allait se passer quelque chose, une chose horrible elle le sentait, le savait, ne pourrait rien empêcher ni retenir. Ses doigts rencontrèrent de menus cailloux qu’elle lança devant elle, une petite pluie de cailloux qui s’enfla en une cascade de cailloux, de graviers projetés. Des pas crissaient sur le gravier, des pas lourds qui s’approchaient, venaient vers elle, des pas qui portaient l’insoutenable. Elle poussa un cri de terreur d’une puissance insoupçonnable dans la gorge d’un enfant, un hurlement venu des profondeurs inconnues de son être, celles-là mêmes qu’on cherchait à comprendre.

Calme-toi, lui souffla le médecin en la prenant dans ses bras. Tu as encore vu quelque chose ? On en reparlera demain.

Annie Brottier

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