La fuite du photographe

Allongé sur le ventre, la tête posée sur ses coudes au ras des herbes grasses, notre personnage observe.

Il est médusé par le spectacle. Pas un bruit aux alentours ne vient le perturber, si ce  n’est que le vague feulement d’une brise légère qui courbe légèrement le roseau et lui offre généreusement calme et relaxation

Son iris, tel l’uppercut de son Panasonic Lumix S5 MarkII S20-60 Hybride, ne tremble pas, il s’adapte, profite des ombres et lumières et fait le zoom.

Il vient de saisir l’instant propice, privilège de l’homme sage et patient,

observateur à ce moment précis, de la délivrance simultanée de trois petits loirs tout rose, les yeux clos, tellement fragiles qu’il lui apparaît même que la langue maternelle fait office d’une râpe, malmenant à lustrer, ces petits corps chancelants.

L’homme n’en perd pas une miette, un événement qu’il mettra en boite mais, cette fois sa boite sera sa propre boite crânienne et non pas celle qui contient la bande mémoire de son appareil photo.

Et puis en quelques secondes, le temps de trois allers-retours à la vitesse d’une vipère, plus rien.  Maman loir a déplacé ses trois petits. L’a-t-il dérangée, il aurait juré que non. Alors, le bonhomme a relevé la tête légèrement et il a compris. Sur sa gauche, à à peine quelques mètres, une rainette s’était mise à faire ses ablutions. Un bruit infernal pour madame loir, insupportable, un danger qu’elle a instinctivement écarté.

Puis finalement l’eurêka aidant, l’homme s’est relevé, a réajusté son sac en bandoulière et a sorti son Panasonic.

Alors nous, acteurs de l’écotone, plantes et ruisseaux, faune et vent léger, le regardions, nous mettant en scène pour la pose ; les flaques se sont irisées plus encore, toutes souriantes pour la postérité ; les joncs se sont courbés en toute gracilité, laissant au photographe deviner leur sveltesse et leur souplesse. Mais rien, ne s’est produit comme nous l’attendions.

Cet instant était un instant magique, celui d’une décision sans retour, le photographe était en fuite, seul restait l’observateur.

Ce serait désormais par la force de ses mots, qu’il décrirait la nature et qu’il en commenterait les ambiances, les odeurs et les couleurs. Il irait dans les écoles rendre compte de ses de émotions.

Il parlerait de la naissance de ses triplés, du floc de la rainette, du dégradé des verts, du plus sombre au plus tendre.

L’homme replia son appareil photo, le rangea au fond de son sac, fit quelques pas, et s’assit près d’une tourbière. Il resta ainsi, plusieurs minutes, puis à nouveau s’immobilisa.

Alors, il est vrai, pensions-nous, nous ne ferons pas avec lui, la couverture sur papier glacé de quelques magasines branchés nature. Mais nous décidâmes, nous, membres de l’écotone de continuer rien que pour lui, de prendre la pose, nous fendant de notre plus beau sourire. Quel honneur pour nous, était-ce d’avoir rencontré un nouvel esthète.

Le ciel changea de couleur, se laissant envahir par les premières ombres crépusculaires. Nous le regardions encore, il n’avait pas operculé le soleil couchant mais, nous avions confiance désormais dans la force de ses mots

Didier d’Oliveira

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