Texte de Clarysse

Tel est pris qui croyait prendre.

 

Mon grand-père avait choisi cet almanach pour la photo, pas pour la célèbre phrase de la fable de La Fontaine intitulée le rat et l’huitre  : « tel est pris qui croyait prendre ».

La photo, c’est un pêcheur, cigarette au bec, en train de sortir un poisson de l’eau avec une épuisette.

Moi je détestais cette scène du pauvre brochet (en était-ce un d’ailleurs ?) cherchant désespérément à respirer.

Évidemment, mon grand-père était pêcheur. Pêcheur et chasseur. Il aurait pu choisir une image de chasse.

Les fameux almanachs de l’époque imageaient souvent des scènes de chasse, de chasse à courre, de pêche, les sports nationaux très prisés des français.

Ma grand-mère avait eu beau enjoliver la chose en y collant un joli petit liséré doré, ça restait pour moi une scène violente et écœurante.

1974, j’avais 15 ans, l’année de la mort de Pépé ; quelques mois plus tôt, il était parti pêcher très tôt un matin et avait malencontreusement glissé sur une pierre ronde dans la rivière, s’était cogné violemment la tête en glissant sur une autre puis s’était noyé, étourdi par le choc, dans 60 centimètres d’eau.

On l’avait retrouvé face contre terre, au fond de la rivière ; la canne à pêche était restée accrochée à une branche de saule, une truite était restée accrochée à l’hameçon de la canne à pêche.

La fin d’une vie…

« Tel est pris qui croyait prendre » disait le fameux almanach.

Ironie du sort, la truite ne s’en était pas tirée non plus.

La fin de 2 vies…

La maison de Pépé et Mémé, Camille et Suzanne, c’était leurs noms, était mitoyenne à celle de mes parents. Suzanne nous avait quittés en Janvier, des suites d’un AVC. Juste le temps d’accrocher l’almanach.

Il faut dire que Pépé et Mémé mangeaient trop, ils adoraient manger des choses bien grasses et ils étaient bien gras tous les deux d’ailleurs. D’où l’AVC et peut-être bien aussi le manque de souplesse de Pépé, qui lui aura coûté la vie.

Camille, resté seul, avait continué à beaucoup manger, à beaucoup chasser et pêcher.

La partie de pêche fatale avait eu lieu le 11 juillet, jour de la Saint Donald.

Ironie du sort ; quand on sait que Donald, cet anti-héros du journal de Mickey, canard blanc grincheux et malchanceux, toujours vêtu d’un costume de marin, l’image même de l’imbécile, cumule les mésaventures stupides qui ne devraient jamais arriver mais qui n’arrivent qu’à lui.

Je connaissais bien les personnages de mon journal préféré, que j’avais le droit de lire en mangeant, lorsque je déjeunais chez mes grands-parents le jeudi midi, jour hebdomadaire de congé scolaire ; j’étais la petite dernière, j’étais la gâtée.

Je me souviens de cette délectation, savourer mon steak frites en lisant le journal de Mickey était un pur bonheur.

Mais revenons à l’almanach. Il était là, toujours accroché au mur, au-dessus du petit bureau en chêne foncé, si petit que je me suis toujours demandé comment Pépé arrivait à s’y asseoir, à glisser ses jambes dessous.

Le petit bureau était dans la salle à manger.

Chez Camille et Suzanne, c’était petit. Au rez-de-chaussée, il n’y avait qu’une pièce principale qui servait de salle à manger, de bureau et éventuellement de chambre d’amis.

Nous étions le 23 juillet, 12 jours après la mort de Pépé. J’avais la clé de leur maison puisque j’y passais autant de temps que chez mes parents et j’avais éprouvé le besoin d’y revenir, de m’imprégner des lieux avant que la maison ne soit louée à quelqu’un d’autre.

Le 23 juillet, la date était entourée d’un cœur rouge, le jour de la Saint Brigitte, ma fête.

Mémé avait donc eu le temps, avant de mourir, de marquer à sa façon toutes les dates importantes pour elle.

Ma grand-mère était catholique non pratiquante et les fêtes avaient un vrai sens à ses yeux. Pour moi ça ne signifiait pas grand-chose mais j’étais heureuse qu’elle pense à moi. Cette fois, elle n’en aura pas eu le temps.

25 décembre, Noël chez Nénette. C’était écrit en tout petit à côté de la date, une écriture penchée et tremblotante, une écriture de vieux.

Nénette c’est ma mère. Il n’y aura pas de Noël chez Nénette cette année-là, pas pour vous, mes chers grands-parents. Et il n’y en aura plus jamais.

Je revenais en arrière. 25 juillet, départ pour la Suisse avec Pierrot et Nénette. Pierrot, c’est mon père. Pas de départ pour la Suisse non plus, pas avec vous en tous cas ; nous partirons sans vous. Il y aura plus de place dans la 404 et un gros vide dans mon cœur.

Je réalisai alors que l’almanach au pêcheur de brochet me rendait triste et nostalgique ; trop de rendez-vous manqués, d’instants perdus, de retrouvailles qui ne seront jamais plus.

Je laissais le calendrier au mur, témoin de nos joies et maintenant de nos peines et refermai la porte à clé.

 

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