Éloge du désordre – la couturière

Quel bourbier ! Enchevêtrements ! Les bobines de fils de couleurs sont mêlées, indissociables. Non pas tirées à quatre épingles mais ébouriffées… Agonie de la couturière… La boite à couture merdique à deux étages, a explosé sur le sol. Renversée – les dés, collectionnés depuis la nuit des temps ont sauté et les bobines ont explosé, comme si une main inconnue les avaient fait rouler. Comme disait ma grand-mère les dés à coudre doivent se porter avec doigté pour filer. Les dés à coudre ont été portés de génération en génération, certains simples d’autres raffinés, élégants, bordés d’or et d’argent.

La haute couture est ravagée par le désordre qui règne dans cette pièce. Fils d’acier, fils de soie, de laine, de coton et bouts de dentelles parfumées à la lavande sont anéantis. Les aiguilles piquées sur le coussin de patchwork, ressemble à un hérisson. Ce fourbi attend son heure. Oh ! Horreur ! une goutte de sang vient de tomber de l’épingle à chapeau à la perle rouge. La couturière s’est piquée en voulant la ramasser. Catastrophe ! La couturière pleure, ravagée par le chagrin, au rythme du carillon. La couturière est en retard ! Vu la rigueur qu’il faut avoir pour une mode dénaturée, celle-ci devient olympique pour les non confirmés. Les crâneuses, les belles d’avant et celle d’aujourd’hui vont bientôt traverser le vestiaire pour le défilé. La couturière est en colère ! Elle les voit drapées avec l’élégance des sahariennes ou éthiopiennes, avec leurs jambes effilées à n’en plus finir. Mais où sont passés les Rubens ? Modigliani est dans l’air du temps… Paradoxe dans cette farandole d’images perdues. Sa mémoire se grise de souvenirs entre deux sanglots. Enfant, elle fut repérée chez Coco Chanel pour servir de modèle. Oui, l’enfant sauvage devait être reconverti en bel enfant sage, bien sur toutes les coutures. Heureusement son père en décida autrement … Mais se dit -elle, où sont passés les tabliers blancs, les redingotes et les jupons pour les déguisements ? C’est la pagaille ! Ma couturière délire ! La couturière s’affole ! Les costumes d’apparats pour la comédie sont prêt, dépoussiérés ! Au garde-à-vous les bottes sont dressées à coté des chaussures vernies car aujourd’hui elles sont de sortie. Pourquoi la paire de chaussettes noires s’est retrouvée sur la chaise du chat alors qu’elle était posée sur les chaussons ce matin ? Le tissu de la chemise s’effiloche, usé par le temps. On y voit à travers ! Une reprise fera l’affaire ! La couturière s’active ! C’est le bordel ! ? Le vestiaire ressemble à une scène d’apocalypse, une scène psychédélique par l’abondance des tenues, hautes en couleurs. Nous sommes à deux minutes de l’ouverture et les portoirs sont vides. La couturière somnole ! Puis brusquement, mais où sont passés l’essayiste et les petites mains qui enfilent, réajustent et ramassent ? Les sous-vêtements, robes et pantalons trainent sur la scène. La boite à couture explosée tel un volcan aux mille fusées a été ramassée.  Comme un petit coquelicot mon âme, comme un petit coquelicot nouveau, la couturière chante. Maintenant, la pièce à couture ne ressemble plus à celle d’hier. La machine à coudre a été oubliée dans un coin. La couturière est de cérémonie. Elle ajuste son tailleur en pied de poule Cacharel, à carreaux gris et blancs qu’elle a terminé à minuit. Elle s’est battue avec les épaulettes qu’elle a posées au dernier moment. Puis elle enfile ses bas et ses chaussures et se regardant dans le miroir elle aperçoit son chapeau oublié sur la chaise. La porte se referme. Les robes, les jupons et tenues d’apparats jonchées sur le portoir vont pouvoir enfin respirer. La couturière est de sortie.

MarieThé

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