La cave

Maison de ville, briques silex, porte basse, fenêtres à petits carreaux, poutres apparentes dans chaque pièce, deux étages plus grenier, maison banale de Normandie, construite dans les années 1850, à l’ombre, côté nord de l’imposante église romane du village.

La maison a son histoire propre, sans doute, mais rien, que je ne puisse vous livrer sinon, d’y avoir vu vivre mes grands-parents ; je me souviens de pièces austères pavées, en rez-de-chaussée comme à l’étage, de tomettes rouges.

Rien ne m’attache à cette maison, si ce n’est la cave. Lieu de repos de mon grand-père. Il y avait installé dans l’entrée, un tonneau retourné ainsi que deux petits tonnelets qui servaient de siège.

Il aimait à la lumière naturelle du jour qui descendait d’une courette, y prendre ses quatre-heures, une miche de pain, du saucisson et quelques noix ainsi que son cidre qu’il tirait à la champelure en effectuant un simple quart de tour sur son tabouret improvisé. Parfois il s’attardait un peu, goutant quelque tranquillité, en attendant que les ordres claques. Pierre !  et là, la magie était rompue, remplacée par un chapelet de missions, d’obligations et de corvées.

C’est dans cet endroit, que j’aimais être à ses côtés, non seulement pour m’entrainer à enfoncer des pointes dans le bois, à scier, à limer mais surtout pour l’entendre me raconter sa vision de la guerre, de l’exode, jusqu’au jour il m’a confié l’histoire de sa cave.

La guerre 39-45 et la cave voûtée comme un tunnel, avec deux arcades de pierres blanches pour la soutenir. Et, les gens du quartier qui venaient s’y réfugier en cas d’alerte ou de bombardement sur les ponts, routes et chemins de fer tout proches. Parfois, me disait-il les soldats de la Wehrmacht s’y retrouvaient également mêlés aux civils, Jours lugubres où même les bébés ne pleuraient pas (versus mon grand-père).

J’aimais partager les quatre-heures avec lui, il y avait pour moi  tartines de pain, beurre gros-sel et chocolat Poulain, quelques cerneaux de noix et de la boisson, soit du cidre coupé, très coupé. Mais mon bien-être se limitait dans cette cave à la seule partie éclairée et à la présence de mon grand-père. Le fond de la cave était sombre, obstrué par un imposant tas de charbon placé sous le soupirail de la rue Émile Billoquet. Derrière le tas de charbon, le soupirail était barré par un mur de briques, noirci par le poussier. Il manquait quelques briques à ce mur dans l’angle supérieur gauche laissant apparaître comme une gueule noire et inquiétante de monstre.

Ce mur , ce sont les Allemands qui l’ont construit . Mon grand-père me racontait encore que derrière ce mur, était édifié un second mur de pierres magistrales de même nature que celle de l’église Saint-Martin. En fait, me disait-il, sa cave n’était à l’origine que l’une des sorties d’un réseau de souterrains reliant l’église, le château de la marquise de la vieille mairie et du presbytère attenant. On retrouve des traces de ce passage dans les archives de l’hôtel de ville, car ce conduit était certainement réservé aux nécessités impérieuses. En effet ce passage menait directement sur les rives de la Seine, zone plate d’embarquement, cachée par un épais manteau d’ajoncs et d’osiers et propice aux entrées discrètes dans la ville ou aux fuites intempestives.

Le premier mur, le mur officiel a été élevé en 1872, le second a été construit par les Allemands en 1944 car, il était impérieux à l’époque que l’on ignore tout de l’existence de ce tunnel. Mais, l’on sait par ailleurs, qu’après-guerre, fut découverte une réserve de minutions située sous la sacristie de l’édifice.

Je ne me souviens plus si mon grand-père en savait plus long sur le sujet, il était plutôt taiseux. Je ne pense pas non plus, qu’il ait en ces temps troubles, diffusé son secret à qui que ce soit, il devait certainement craindre pour sa famille, d’autant plus que, de l’autre côté de la rue, en vis-à-vis de sa maison, se dressait une imposante maison de maître qui servait de résidence et de Q-G. aux Boches, disait-il. Et je suppose à mon tour que de cette cave, on n’ait jamais entendu le précieux message : Ici, Londres…

Didier d’Oliveira

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