mon seul horizon est l’horizon
l’horizon qui tourne en boule sur lui-même
en reflet à la Maurits Cornelis Escher
un horizon comme un secret derrière la porte
un horizon sacré inatteignable
que si tu le touches il s’échappe
il t’échappe
le présent n’existe pas, n’existe que le futur
la réalité n’existe pas, que le factice et l’imaginaire
que le toujours plus loin, aux confins de l’œkoumène
j’ai beau marcher, courir, trépider
prendre un planeur, un hélicoptère, un Boeing ou le Concorde
l’horizon fuit
s’enfuit, joue à saute-mouton, me fait la nique
des trics et des tracs, tout à trac
des trucs pas vraiment verticaux
pas vraiment obliques
des trucs plutôt plats parsemés d’embûches
d’horizon tronqué ou d’horizon bouché qu’il me faut dévaler
débusquer, enfourcher
et je retombe toujours sur une imperfection horizontale
parfois sinusoïdale
censée me rasséréner mais qui dans les jours de tempête intérieure m’angoisse
son je n’étant pas toujours drôle
l’horizon se moque de moi insolent, indolent, imbécile
indistinct
mon horizon est trompe l’œil, trompe-la-mort
je me baigne dans l’horizon saumâtre d’une illusion d’évasion
le ciel et la mer se touchent
ne faisant qu’un
face à mes sens abusés l’infini a une couleur d’infini
que je parcours allègrement voulant toujours y croire
je m’accroche à l’idée d’horizon comme une à une idée à atteindre, un projet, un but
je m’y accroche à dessein pour changer les perspectives
changer mon point de vue sur la finitude
cela me permet d’aller toujours plus loin, de me dépasser
d’être toujours en mouvement, d’oublier
de prétendre
Voler au-dessus de l’horizon n’a abouti qu’à une expérience ratée
je suis lovée dans un ruban de Moebius dont je n’arrive pas à sortir
la tête à l’envers, la tête à l’endroit
les pieds en l’air l’illusion facile et l’air marin
les tiédeurs de l’air me rendent euphorique
je regarde les oiseaux de passage dessiner dans les nuages des architectures
baroques
des roues de moulin, des paréidolies
mon horizon d’attente est l’horizon de la caverne de Platon
un écran fallacieux peuplé de chimères
une utopie dystopique
un no man’s time éprouvé par un vide sidéral
un univers discret
sans probabilités
mon horizon d’attente reste inatteignable
une boule de neige que l’on renverse pour rien
une boule de terre qui ressemble à la planète terre qui tourne sur elle-même
qui tourne autour du soleil
qui tourne sur elle-même
qui tourne sur elle-même…
non l’horizon n’est pas plat ni horizontal ni frontal
fractal
fragmenté
un horizon disjoncté disjoint fait d’images subliminales qui s’entrechoquent
dupliquées à l’infini par un Andy Warhol se prenant pour un artiste
je ne suis pas dans le réel, je suis dans l’art
sans horizon que lui-même, inventé par lui-même, pour lui-même
una terra incognita connue de tous
A la punta dogana d’un art contemporain dégénéré
par Damien Hirst, for the love of god
par la nona ora de Maurizio Cattelan
par le dripping sanglant de Jackson Pollock déguisé en Hermann Nitsch
par les graffiti et le tuxedo de Jean-Michel Basquiat
par les à plats rust and blue de Mark Rothko
Je me suis enfermée dans la tour du vertige de sueurs froides
les mouvements de caméra se font inversement proportionnels à ma chute
ce qui crée une persistance rétinienne à la Dali
un univers de montres molles dans un désert coulant de sable d’une clepsydre abandonnée d’eau
et je me retrouve comme une chienne qui se mord la queue
toujours à mon point de départ ayant fait pourtant entre-temps le tour de la terre
combien de fois le tour de la terre ?
Je l’ignore
mon seul horizon
mon horizon d’attente
est l’horizon qui tourne en boule sur lui-même et en reflet
comme un dessin d’Escher asymptotique
l’horizon n’existe pas
il n’est qu’un mot et les mots n’ont rien à dire que le plat
la platitude de l’horizon illusoire
j’abandonne l’horizon pour me consacrer aux mots vides de sens
sans points cardinaux
sans limites et sans ponctuation
J’ai contemplé au loin le miroir déchaîné
l’horizon-mémoire
Les embruns et la brume
qui ferment le chemin
les illusions m’ont prise
de faux-semblants en trompe l’œil
j’ai traversé les fleuves hagards
je me suis perdue dans l’onde blafarde des flots
les tempêtes ne m’ont pas affaiblie
avec la foudre il m’est arrivé de blêmir
de plier, de vomir
mais j’ai gardé le cap, le sextant
la boussole et la barre
je me suis approchée des récifs barbares
et j’ai su un instant que viendrait l’heure propice où la houle contraire
déchirerait la voile
arracherait le mât
et ferait de moi un pauvre fétu de paille
j’ai compris
certains crèvent trop vite
parce que mal entraînés
parce que mal entourés
départs dérisoires
victimes expiatoires
il faut empathie ressentir
voir les frêle esquifs
s’éteindre
m’adoucir ou mourir
être là seulement
suivre les bateaux qui tanguent
lever l’ancre
de l’horizon propitiatoire
être le bateau-phare
PASC