Extrait du journal intime de Sylvie Kobalitz

Cet extrait de journal fait partie d'une pièce de théâtre, Partir à New York, 
pièce en un acte et 8 scènes écrite par Catherine Weber

 

J-3 dimanche

Réveil au son du portable, corps engourdi, rêve évanoui.  

Je lève mes jambes, elles sortent de la couette dans l’air frais. Je les replie, puis tourne mon bassin. M’appuyant sur un coude, fesses au bord du lit, je me redresse. Mes pieds touchent le tapis. Je me penche en avant et prenant appui sur les mains, je me lève doucement. Debout, mes genoux restent en flexion. Je remue mes jambes l’ une après l’ autre. Je fais un premier pas, puis un autre. Je marche. Sur la pointe des pieds, je pousse le vasistas.

 Prise de conscience du corps, pour me désengourdir, je la pratique tous les jours, presqu’à chaque instant.  

Depuis que je m’ occupe des jeunes équipes à la boîte, c’est cette conscience là que j’ enseigne. Sinon tu fous en l’air ta santé. Notre corps, c’est nous, et on le bousille à travailler sans conscience ni respect de nous-même nettoyant la crasse des usagers. Bon, je ne veux pas penser au boulot.

 C’est pas tout ça, mais moi je n’ai que ce dimanche pour fignoler l’entièreté de mon voyage à New York!

J-2 Lundi

Le flix bus m’ a conduit jusqu’à la Defense. J’ai encore une station et je suis devant la tour de la Technical Cleaning Service, la Teks, là où je travaille. Debout, je tiens la barre au milieu de la rame. Je pense à New York. Vue seulement au ciné et à la télé. Des vues d’ hélico souvent. Les pieds sur terre, Comment c’ est ? Sans doute comme ici. Des grands immeubles, des entrées sécurisées… Le dépaysement, j espère le ressentir quand même un peu !  

Sonia m’appelle à la DRH, c’est elle qui a préparé ma réservation sur Air France et celle de mon hôtel. La moitié du voyage est payée par le comité d’entreprise, c’ est un avantage de travailler comme cadre dans une multinationale. Elle me remet un petit dossier bleu, je devrai y ajouter l’Esta, ma preuve de vaccination covid, et bien sûr, mon passeport biométrique tout neuf.

J-1 mardi

J’ ai fait ma valise hier soir. Trois tenues d’ été, un gros pull zippé, sept slips, trois soutiens gorge. Suis délivrée des soucis de tampax et de serviettes puisque ménopausée. J’ emporte juste une mini-trousse avec brosse à dents, dentifrice, et un pot de crème au lait de jument fournie par ma copine taïwanaise, à mettre dans un sac étanche avec le dentifrice, mon bagage ne partira pas en soute, il restera avec moi. Cette crème est précieuse pour moi. Je protège mes mains, elles sont souvent emprisonnées dans du latex pour des démonstrations aux jeunes équipes. J’emporte chargeur, prise US, bouchons d’oreille, des chaussettes de contention, un maillot de bain et une petite serviette.  

Le roman Yellow cab offert par mon amie Sonia. Et le guide du routard 2022 offert par mon chéri.  Ce sera pour lire dans l’avion ou bien à l’hotel. Ils iront avec billet d’avion, papiers, stylo, crayon, passeport, dans la grande poche et je placerai mon porte feuille rouge, mon porte monnaie en tissus avec un oiseau brodé, dans l’autre compartiment de mon sac à main. Je suis fin prête. Mon mari va m’accompagner à l’aéroport demain. Il est temps d aller dormir … Un peu froid le lit, de mon côté. Une poignée de cheveux émerge de la couette. Jérôme dors déjà.

J »0″ mercredi  

 Un peu d’affolement dans les bouchons…Dépose-minute du  terminal 2 de Roissy. Jérôme a la gorge serrée. Il aurait aimé m’accompagner là bas…D’autant que sa banque, c’est notre chance veut aussi l’expatrier sur New York, du côté de Wall Street…Moi c’est dans quatre mois que je prendrai mon poste à la TCS New York. Et lui dans six.  On s’ embrasse fort devant la porte tournante… A dans huit jours ma chérie. Tu me diras au retour – Prends soin de toi mon chéri.  

 En fait, là, je pars en reconnaissance, profite du voyage de mon amie Perle à New York pour être en bonne compagnie…Et vais tâcher en huit jours d’y voir plus clair. Un rendez-vous a été pris à la TCS New York, deux jours après mon arrivée, avec l’homologue de Sonia à la DRH, et un autre, le même jour  avec mon futur manager. Ils savent que je suis là en vacances, pour goûter la Big Apple… A la fin, vais-je accepter ou non ces trois ans à New York? Ils m’ont été proposés par mes patrons, après ma demande de mutation, parce que mon profil de pédagogue opérationnel est prisé en Amérique. Je devrai initier les jeunes équipes au nettoyage des bureaux … C’est ma longue expérience de technicienne de surface depuis le bas de l’échelle en passant par chef d’équipe, jusque responsable de formation, plus mes connaissances dans la prévention des troubles musculo – squelettiques qui ont interessé les americains. Je pratique aussi le Chi Qong, et c’est un plus selon eux. La mission est intéressante et mieux rémunérée qu’à Nanterre. On me promet aussi une prime au logement… Mais je ne parle pas très bien la langue, je n’ai aucune idée de la vie quotidienne à New York… Ce sont ces aspects que je vais tester, tout en visitant en touriste les lieux amblématiques de New York … En attendant, au terminal 2, une machine délivre nos cartes d’embarquement. Ce sont de simples papiers légers ornés d’un QR code. De nombreux automates exigent de le scanner avant d’ouvrir leur barrière. Les tapis roulants se succèdent, j’avoue que j’ adore ça, les tapis roulants ! La porte où nous devons embarquer s’ approche. Brouhaha de la duty free chop. Les formalités ont été longues. Pour contrer la frustration, j’ achète une bouteille de vin, le vendeur l’enveloppe dans une pelure de soie, la place dans un sac de papier glacé dont il noue avec soin le ruban. Je souris intérieurement sous la coupole légère et lumineuse du terminal deux. Musique douce, fast food frais et organique… Je suis détendue.  Le siège 29C me sacre passagère d’ un Boeing 747, je m’apprête à décoller, comme le pilote m’y invite. Le survol de l’Atlantique, c’est comme un long voyage en bus, la magie des nuages en prime  !

Perle est déjà sur place. Elle est venue me chercher… Notre hôtel est situé au sud d’Harlem dans la 125 eme rue… Un Yellow cab nous y conduit en une petite heure. La nuit vient de tomber. Il est à peine 7h du soir. J’ ai gagné six heures !  

Au Pop Mariott, des sourires, une musique un peu forte… On pose nos valises dans notre chambre à deux lits Queen au 1er étage. On entend le brouhaha de la rue. Alors nous descendons marcher dans ce nouveau monde qui nous attire, nous étourdit déjà. Nous dînons au Sotto Casa, partageant pichet d’ eau, salade fraîche et pizza… C’est délicieux mais l’ addition est salée… Deux fois plus cher qu’en banlieue de Paris. Perle m’ explique : on doit payer  vingt à trente pour cent en sus pour les taxes et le pourboire. L’ euro déraille en ce moment, le dollar a pris de la valeur… La vie va nous sembler chère pendant notre escapade.

J +1

Premieres visites demain, gratuites celles là : Time Square et la gare centrale !  Perle me parle de Bastien. Mon fils devait partir avec elle mais un problème dans la famille de son petit ami l’a obligé à renoncer, je suis donc ici à sa place, du point de vue de Perle. Je lui demande si elle le regrette. Mais Perle me dit que non, parce qu’elle le connaît bien, et pense que dès son arrivée à New York, il lui aurait faussé compagnie pour aller voir des tas d’amis lointains qui travaillent dans le spectacle et avec qui il correspond  par messenger. Elle est contente d’être avec moi, intéressée par un tourisme basique dans New York. De plus, son hotel va lui revenir moins cher, car je peux lui faire profiter de la réduction de mon comité d’ entreprise. En échange, elle dit vouloir suivre mes desiderata. Hum, nous verrons bien, car pour l’ instant, c’est moi qui la suit… Et il y a des visites que je devrai faire seule.

J+2  

J ai descendu hier Broadway avenue, dans tout Harlem, avec le flot du samedi. Le long des murs peints, ou devant les toiles noires des chantiers, avec la mention post no bills.  A mes pieds, ici et là, crachats et traces de pisse séchée, papiers, boîtes en plastique…

Mieux vaut lever les yeux sur les façades d’immeubles années soixante, aux centaines de fenêtres. Et moins haut, sur des façades ensoleillées où les escaliers de secours multiplient leurs rayures spiralées. Vite, une photo ! Et les enseignes des commerces, la pub des fourgonnettes. Distraite, je butte soudain sur un tas d immondices. La TSC demanderait cher pour un tel nettoyage. Mais les pouvoir publics ont ici moins de moyens que n’ importe quelle grosse entreprise.

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