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Dominique Pierre
Dominique Pierre
A force de rêver,
La puissance des images,
Lisière de l’ailleurs,
De l’esprit libéré, invente
L’imaginaire ; un monde en couleurs Lire la suite
Tu entends ce que j’entends ?
Tour du monde sonore
Le brouhaha d’une rue perdue
dans une de ces capitales bruyantes,
New-delhi, Le Caire, Mexico, Ouaga ?
La voix douce rien que pour vous plaire
Hypothèse d’un renversement dévoilé comme un alto
Son cœur, pépinière d’irradiations
A prendre au lasso ?
Nous passions souvent les vacances d’été à la ferme de mes grands-parents. Les sons de ce lieu me reviennent à l’oreille : le caquètement des poules quand elles venaient de pondre, toutes fières de l’annoncer à la ronde ; le chant du coq le matin ; le meuglement des vaches à l’étable ou dans les champs quand on leur apportait l’eau et le foin ; le bruit métallique du premier jet de lait dans le seau ;
Il est un hôtel près de Trouville/sur Mer, célèbre par son histoire et par les personnages illustres qui l’ont occupé. Il s’agit de l’Hôtel des Roches noires, énorme bâtisse qui comptait soixante-dix chambres sous le Second Empire, trois cents en 1913. Il a vécu l’arrivée de l’électricité. Les grands bourgeois, les milliardaires américains, les aristocrates russes, les industriels allemands y venaient en villégiature du temps où Trouville était une station balnéaire très prisée des riches. Il connut les deux guerres, résista aux bombardements, fut réquisitionné par les Allemands, puis transformé en hôpital de guerre. Par la suite il fut vendu par petits morceaux sous forme d’appartements.
LES GARES
Lieu où des milliers de gens
Se croisent sans se connaître
Files de fourmis pressées
Rivières aveugles
Dans les salles des pas perdus
Refuge des paumé.es et des exclu.es
J’ai vécu toute ma vie avec les livres. Mais il y a un moment où ils m’ont particulièrement transformée, à l’époque de l’adolescence, pendant les années de lycée. Mille neuf cent soixante cinq, quinze ans, l’année de la seconde fut la plus fondamentale : l’âge des éveils, des prises de conscience.
La vie réelle était gaie dans la famille et avec les ami.es. Mais nous avions peu de distractions, peu d’occasions de sortie, pas d’écrans pour occuper le temps, pas assez d’argent pour voyager, partir en vacances. Au lycée et dans la société régnaient les interdits : interdit d’approcher les garçons, pas de mixité, blouses beige une semaine, rose l’autre semaine, interdit de faire l’amour, pas de contraception ni d’avortement ; un lycée réservé surtout aux enfants des classes bourgeoises ou moyennes. J’étais décalée quand les autres racontaient leurs vacances au ski ou exhibaient leurs fringues à la mode, pas envieuse mais pas dans ce monde-là qui ne me plaisait pas du tout. Ma revanche était de leur damer le pion grâce à ma culture littéraire et historique. Je cherchais autre chose que cet horizon borné de la séduction, du mariage, de la vie de couple, de famille, de la société de consommation. La lecture étanchait ma soif d’absolu. La lecture était mon refuge, ma vengeance, mon évasion, ma niche écologique. Grâce aux livres je réussissais à élargir mon horizon, ma façon de penser et à comprendre le monde.
Alors certains livres sont entrés dans ma vie, m’ont imprégnée, pour ne plus jamais en ressortir. J’ai vécu cachée avec Anne Franck. Quand je fermais les yeux, je pouvais la voir en train d’écrire son journal. J’ai cherché à savoir pourquoi, j’ai avalé, avalé les livres sur les guerres mondiales, les camps de concentration, lu tous les romans de Primo Levi, Treblinka … Je crois que date de cette époque le désir de m’engager pour que de telles horreurs ne se reproduisent plus. À la même époque j’ai vécu avec Madeleine Riffaud dans les maquis Vietcong et ne ratait plus une seule manifestation contre la guerre du Vietnam. Je crus, durant une courte durée, à l’existence d’un pays eldorado, le socialisme soviétique ! J’ai dévoré alors les romans russes, en particulier Tolstoï : Anna Karenine, Guerre et paix, Tchékov, Gogol, Tourguéniev … Pour ne pas faire les choses à moitié, j’avais même choisi le russe comme seconde langue. Heureusement j’ai vite ouvert les yeux pas seulement grâce aux livres. Mais eux aussi là encore m’ont aidée à y voir plus clair comme ceux de Soljenitsyne, et d’autres sur le goulag.
Je voulais savoir comment vivaient les peuples d’ailleurs, d’Afrique, d’Amérique du Sud. Je me suis passionnée pour l’anthropologie, Lévi Strauss, Margaret Mead.
Puis j’ai abordé la philosophie politique avec Marx. Avec ma meilleure amie, en seconde on a déchiffré ensemble le Manifeste qui nous a paru alors si difficile à comprendre.
J’ai conservé jusqu’à l’année de terminale, puis à l’Université cette boulimie de lectures, lisant les classiques : Balzac, V. Hugo les misérables, Germinal. Avec les hauts de Hurlevent j’ai réfléchi à ce qu’était une vie de femme dans un monde d’hommes. J’ai adoré vivre dans le monde flottant et romantique du Grand Meaulnes.
Je comblais mon désir d’aventure et d’amour avec les romans d’Ernest Hemingway. Je me suis passionnée pour la guerre d’Espagne grâce à Pour qui sonne le glas. Je sens encore la main de Jordan passer dans les cheveux courts de Maria.
Dominique Pierre
Une route goudronnée occupe au premier plan toute la largeur de l’image. Elle avance en se rétrécissant, les deux lignes parallèles se rapprochent suggérant la perspective, la profondeur et la direction comme une flèche. De part et d’autre des plaines désertiques ou semi désertiques sont couvertes d’une végétation jaunie, rabougrie, roussie par le soleil et la chaleur ; pas un arbre, pas un point d’ombre. La route se perd à l’horizon, barré par une ligne de montagnes bleues qui tranche avec l’étendue plate et désolée. Le bleu du ciel plus clair surplombe la ligne des monts.
Au volant d’une voiture américaine il roule depuis des heures sur cette route, sans s’arrêter, sans croiser âme qui vive. Il est temps pour lui de changer d’air, de tourner la page. Il n’a pas de but précis, seulement cette ligne à atteindre à l’horizon, toujours plus loin ; peut-être que derrière il y a une vie nouvelle, un avenir meilleur ? Une autre civilisation plus humaine, un autre climat ?…
Il commence à aborder une route plus sinueuse, en pente douce puis plus raide. Les montées, les virages se succèdent, la température baisse. Il s’élève au-dessus de la vallée. Le soleil disparaît derrière les sommets. Plus il avance et moins il voit l’horizon de plus en plus bouché par les pentes escarpées ; il ne peut pas s’envoler comme les oiseaux migrateurs pour découvrir plus vite ce qu’il y a de l’autre côté. Harassé par des kilomètres de conduite, il doit se résigner à s’arrêter. Il est seul sous les arbres, dans une forêt dense. Et si c’était là l’autre monde ?
Allongé sous un immense chêne
Dans l’immensité profonde
Forêt silencieuse, aimable solitude
les feuilles bruissent dans le vent
Mon esprit s’envole au-dessus des cimes,
rêvant, égaré, libre et inquiet
Les arbres m’entourent,
Me serrent dans leur bras
Pour me protéger de la fraîcheur de la nuit
Les oiseaux donnent un dernier concert
Avant de s’endormir
Ils me saluent de leurs chants
Comme un air de bienvenue
Au loin la mélodie d’une eau qui s’écoule
Comme les notes d’une Kora
Je m’amuse de la fourmi qui
Transporte une feuille plus grande qu’elle
L’araignée tisse encore sa toile
A cette heure tardive
La chute d’une goutte d’eau
Le coup de bec d’un oiseau
Deviennent perceptibles
Je sommeille au sommet des monts
Rejoins la reine des ombres
Je commence ma métamorphose
Aux sources du vivant.
Dominique Pierre