J’escapade

Saisi d’une curiosité sans préjuger de découvertes vraiment enthousiasmantes et cependant attendues avec l’intuition d’un changement profond de son être au retour partir sans prévenir personne pour une courte exploration

Entrer dans un univers de formes et de couleurs mais aussi de matières à la fois familier et inquiétant ignoré du peintre lui-même Lire la suite

Toupet rouge

Saint-Vaast-la-Hougue, le 27 septembre 1936

Ma chérie,

Voilà terminé mon séjour chez Anselme, hôte chaleureux et ami dévoué, qui m’a bien soutenu dans les moments difficiles que je viens de traverser.

J’ai découvert un Cotentin plutôt rude, fait de paysages difficiles à approcher, hérissant — à juste titre ! — des défenses contre les super-prédateurs que nous sommes…

Je quitte donc demain Saint-Vaast-la-Hougue pour Montreuil-Bellay chez mon vieux copain angevin où m’attend une caisse de Chenin. Cela signifie que je ne rentre pas tout de suite à Rouen et il faut que je te raconte tout de suite l’aventure (est-ce le bon terme ?) que j’ai traversée dans ces marais du Bessin. Lire la suite

Franchir la frontière

Elle est assise à sa table d’écriture. Sur la chaise de jardin, elle a posé un coussin couleur safran pour en améliorer le confort.

Elle a hésité, puis a fini par choisir le papier : blanc, format 21×29,7 et un stylo à bille noir. Elle a fermé et repoussé son ordinateur. Elle tourne son stylo entre ses doigts. Elle s’étire, se lève, va chercher un verre d’eau. Elle déplace sa chaise pour présenter son visage à la chaleur du soleil matinal qui entre par la fenêtre. Elle ferme les yeux, attentive aux bruits : le ronronnement paisible de la machine à laver, le vent qui secoue le store. Elle ouvre les yeux, regarde la feuille vierge devant elle. Où trouver les mots pour décrire l’indicible ? Des idées, des lambeaux de phrases, des suites de mots peinent à émerger. La tentation est forte de renoncer… Lire la suite

Maintenant

Maintenant je trempe un carré de chocolat dans mon café brûlant et une bombe est tombée sur l’immeuble au bout de la rue et le petit Mohamed sort de sa maison son cartable sur le dos et un chien aboie après un cycliste qui zigzague de surprise et un homme pleure devant l’immeuble en feu et une femme rit en regardant son bébé et du sang coule sur le visage d’un soldat et lui il regarde médusé à la télévision les images du drone survolant les ruines de Marioupol et un hélicoptère jaune traverse le ciel bleu et ma voisine rature ce qu’elle vient d’écrire et des colombes de faïence se tournent le dos sur le banc du jardin et un téléphone portable sonne et …

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Horizons, songes et mensonges…

 

Au premier plan, une longue planche posée sur les vaguelettes figées d’un sable blond parsemé de cailloux. Une dalle de béton d’un bâtiment inachevé contre une maison de bois entourée d’objets éparpillés, abandonnés là en désordre : un poteau renversé, un tuyau d’arrosage déroulé, un grand pot de fleur en terre posé à l’envers sur un piquet. Une table en tube et plateau de bois avec son banc soudé, peut-être un banc d’écolier. Sur la table est posé un objet qui ressemble à une paire de jumelles. À droite de la table, un sapin projette une ombre noire sur un rouleau de fil de fer rouillé. Derrière le bâtiment, en partie dissimulé, un gros pick-up rouge métallisé. Plus loin au second plan, le terrain s’élève peu à peu, planté de buissons rabougris, jusqu’à l’horizon blanc de poussière et de chaleur, hérissé de poteaux électriques, peut-être une ligne de chemin de fer.

La lumière est blanche, aveuglante, les ombres sont courtes. Il est midi.

Longtemps tu as fixé au loin la ligne de rencontre entre la mer et le ciel, guettant le surgissement d’un vaisseau qui entrera au port, chargé de trésors, attendant chaque matin avec soulagement la lente émergence du soleil, parfois hors de l’océan, parfois derrière le trait déchiqueté des montagnes.

D’où vient ce navire ? Et le soleil, qu’a-t-il éclairé avant de plonger dans la sombre vallée où tu es né ? De riches contrées de contes et de légendes ? D’étranges villes hérissées de tours de cristal ? Tu finis par te décider à aller au-devant des rêves et espoirs que ces spectacles font naître en toi. Mais l’horizon recule, il se dérobe, longtemps, gardant son mystère toujours. Tu te décourages. Peut-on tourner le dos à l’horizon ? Non. Devant toi à nouveau, le voilà, fermant ton univers, mais c’est toujours un appel entêté à le dépasser, à te dépasser. Celui qui brandit un drapeau a-t-il le regard fixé sur l’horizon ? Et la femme portant sur sa tête un lourd fardeau qui s’amenuise puis disparaît derrière un repli de terrain en semant un flocon de poussière, quel est son ailleurs ? Et le marin au cap Horn, devant l’énorme masse liquide et mouvante qui se dresse devant lui haute comme un immeuble raconte-t-il devant un public de terrien, sait-il où trouver son horizon ? Que dire de l’oasien assoiffé qui se précipite vers le lac tremblotant brusquement apparu au loin, bordé de pâles silhouettes de palmiers ?

Ce sont songes et mensonges d’un horizon implacable.

Danielle Fayet

Moi, mon seul horizon…

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Le groupe de randonneurs avait passé la journée à patauger dans les rizières accrochées au flanc du volcan sous une pluie battante et tiède de mousson et avait rejoint pour la nuit un gîte où les attendaient une soupe épaisse et réconfortante de légumes du pays, des bas flancs équipés de futons épais. Devant un petit feu qui seul éclairait la pièce dans laquelle ils se tenaient, en attendant le sommeil, ils bavardaient à bâtons rompus.

La conversation roulait sur ce qui, pour chacun, avait guidé sa vie. Ils étaient tous à peu près du même âge, de solides cinquantenaires. L’un était devenu romancier pour faire vivre les personnages imaginaires qui l’avaient accompagné durant son enfance solitaire ; une ancienne cantatrice s’était reconvertie en auteure à succès de romans policiers ; un autre encore avait dit à quel point ses lectures d’adolescent avaient guidé sa vie de militant.

Leur guide n’avait rien dit. Il était plus âgé, le crâne totalement chauve, un regard gris métallique enfoncé dans de profondes orbites, un nez en forme de bec d’aigle. Ayant achevé le tour du groupe, ils se tournèrent vers lui.

Moi, mon seul horizon, c’était le pouvoir… On m’a dit que dès mon plus jeune âge, non seulement je voulais toujours tout faire tout seul, mais aussi que je prétendais décider de tout pour mon seul entourage. J’ai assez vite éprouvé la satisfaction d’être obéi. Ma mère trouvait cela charmant, mon père jugeait que cela révélait la construction d’une forte personnalité qui accomplirait plus tard de grandes choses. Mes frères et sœurs trouvaient sans doute cela plus simple de se soumettre… bien plus tard, à l’adolescence, j’ai compris qu’en fait, ils me tenaient le plus possible à l’écart de leurs activités pour avoir la paix. Un jour, lors d’une causerie en classe, chacun devait dire ce qu’il ferait quand il serait grand. J’ai déclaré que je voulais être premier ministre et tout le monde avait ri. Ce qui m’avait ulcéré… Et encore, je n’avais pas osé révéler le fond de ma pensée : je voulais être le roi. Mais je savais que ce n’était pas possible parce qu’il faut avoir un père déjà installé sur le trône et le mien était simple magasinier chez Amazone. Je ne savais comment désigner celui qui commandait à tous dans un pays.

Autant je me comportais en détestable tyran domestique, autant je savais me faire apprécier de tous ceux que je savais être plus forts que moi : parents de copains (que je martyrisais parfois), professeurs, entraîneurs sportifs, et aussi mes aînés dans le quartier pour lesquels j’acceptais des missions parfois détestables – sans jamais me faire prendre.

À la fin de mes études, il m’a fallu faire un choix professionnel pour parvenir au but  que je m’étais fixé. J’ai d’abord pensé à la carrière militaire : avec l’exemple de généraux devenus dictateurs à la suite de révolutions fomentées dans des états d’Amérique du Sud, la voie semblait facilement tracée. Mais ce que vous avez conquis par la violence risque de vous être repris de même, et j’étais d’un naturel pacifique. J’optais donc pour la politique.

À mon grand étonnement, sitôt exprimée mon intention de devenir président de la République, ce fut assez rapidement chose faite ! Le soir de mon élection, quel bonheur, quelle fierté de marcher, tout seul, dans la nuit, éclairé par des projecteurs, vers l’Arc de Triomphe symbole du pouvoir absolu. Quelle jouissance de déclarer devant le parterre de ministres et de journalistes :  je veux que d’ici six mois il n’y ait plus personne dormant dans les rues de nos grandes villes … Toutes les phrases que je prononçais pouvaient commencer par je veux ! Quand je sentais dans le gouvernement des coteries qui émettaient des réserves, j’effectuais un remaniement ministériel.

Je trouvais ma vie passionnante jusqu’à ce funeste jour de juin. À la sortie de la préfecture dans une petite ville de province, je m’étais avancé un peu vite vers les barrières où se massait une foule de curieux pour l’habituel serrage des mains anonymes qui se tendaient vers moi. Ce jour-là devint pour l’Histoire  le jour de la gifle . Tout en faisant envers et contre tout bonne figure pour les mois qui ont suivi, je crois que ce jour-là mon univers s’est écroulé. Pour parler comme nos jeunes contemporains, j’ai su qu’il fallait que je  change de logiciel .

Un silence stupéfait suivit ses paroles. Avec un petit rire, il ajouta : Voilà un épisode glorieux de mon existence… Et maintenant, si vous voulez être en forme pour l’étape de demain, au lit ! 

Danielle Fayet