Au loin, l’horizon

La Lande n’a pas de fin, pas de contour, pas de limite, elle s’étend plate sans colline

Au loin coule une rivière

Pas d’écho, pas d’oiseaux

que le vent qui courbe les buissons

Des touffes d’herbe

Une planitude chauve

Un no man’s land sur la carte du temps

Un horizon de landes et de tourbe de bosses

Toutes sortes de verts

Vert tendre, vert d’eau, vert-maronnasse

Douceur de l’herbe vert-pomme

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Moi, mon seul horizon c’était l’écriture

Élevé dans ces immenses régions centrales où venait se perdre la route poussiéreuse qui aboutissait à notre ferme, je n’étais pas fait pour la chasse, la poursuite du gibier avec mon père, l’élevage des chevaux, la manutention des machines. J’avais dix ans, je me rendais à l’école en attendant le bus à la croisée des chemins. Le paysage s’étendait à l’horizon, cultivé par les fermiers qui s’appauvrissaient à mesure que le prix de l’eau, privatisée, augmentait. J’ai vécu dans cette atmosphère de champs désertés, autrefois prospères. Mes parents et mes frères tentaient de se raccrocher à l’idée d’une exploitation encore rentable. Ils ne comprenaient pas mon repli dans ma chambre à contempler l’ennui qui suintait par la terre labourée. Je descendais vers la rivière qui coulait en certains endroits en torrent rapide. Perché dans mon arbre favori, j’observais au loin la maison qui me semblait un décor de théâtre. J’étais un enfant triste, toujours à chercher une raison pour m’isoler, ne trouvant aucun réconfort dans les jeux ou les échanges avec les autres.

Un jour ma sœur, la seule fille de la famille et la plus proche en âge, m’offrit un petit carnet avec un crayon attaché. Sans rien me dire elle le glissa dans la poche de ma salopette.

Sans y penser j’y inscrivis tout d’abord des bribes de conversations entendues à la maison, dans le bus, à l’école. Ces paroles se mirent petit à petit à se répondre. Je les mélangeais, les malaxais, les organisais. J’y adjoignis des cris d’animaux, des interjections téléphoniques où j’ignorais l’interlocuteur. J’imaginais le personnage à l’autre bout du fil souvent grossier, obtus, parfois violent. Je me battais ainsi contre des gens intolérants, j’exacerbais mes colères en les menant jusqu’au bout.

Puis mes personnages prirent corps. Je ne les entendais plus seulement, je ne me heurtais plus à eux uniquement par la parole, je les visualisais. La description me prenait du temps, il me fallait chercher les mots. Au début , ils se ressemblaient dans la laideur, ou au contraire étaient très opposés. Mais il me fallait aller au-delà. A cette époque, j’avais alors douze, treize ans, je me mis à imaginer des monstres tous très cruels, menaçants. Ce n’était pas encore ces personnages de fiction que je mis en scène plus tard et qui m’amenèrent à l’écriture de scénarios. Non, ils rôdaient, parfois minuscules autour de moi et me criaient des sortes d’onomatopées dans les oreilles. Je voulais les chasser mais n’y parvenais pas. Mon seul salut était de les faire vivre puis de les éliminer par l’écriture.

Je passais pendant cette période le plus clair de mon temps à noircir mes petits carnets qui s’amoncelaient dans mes tiroirs. Je ne savais pas encore que j’en ferai des héros. Je ne pouvais plus me passer de leur compagnie, ils me soulageaient et me tourmentaient, ils m’étaient devenus indispensables.

C’est cela  je crois qui fut à la base de mon écriture scénaristique de bande dessinée et de cinéma.

Josette Emo

Horizons, songes et mensonges…

 

Au premier plan, une longue planche posée sur les vaguelettes figées d’un sable blond parsemé de cailloux. Une dalle de béton d’un bâtiment inachevé contre une maison de bois entourée d’objets éparpillés, abandonnés là en désordre : un poteau renversé, un tuyau d’arrosage déroulé, un grand pot de fleur en terre posé à l’envers sur un piquet. Une table en tube et plateau de bois avec son banc soudé, peut-être un banc d’écolier. Sur la table est posé un objet qui ressemble à une paire de jumelles. À droite de la table, un sapin projette une ombre noire sur un rouleau de fil de fer rouillé. Derrière le bâtiment, en partie dissimulé, un gros pick-up rouge métallisé. Plus loin au second plan, le terrain s’élève peu à peu, planté de buissons rabougris, jusqu’à l’horizon blanc de poussière et de chaleur, hérissé de poteaux électriques, peut-être une ligne de chemin de fer.

La lumière est blanche, aveuglante, les ombres sont courtes. Il est midi.

Longtemps tu as fixé au loin la ligne de rencontre entre la mer et le ciel, guettant le surgissement d’un vaisseau qui entrera au port, chargé de trésors, attendant chaque matin avec soulagement la lente émergence du soleil, parfois hors de l’océan, parfois derrière le trait déchiqueté des montagnes.

D’où vient ce navire ? Et le soleil, qu’a-t-il éclairé avant de plonger dans la sombre vallée où tu es né ? De riches contrées de contes et de légendes ? D’étranges villes hérissées de tours de cristal ? Tu finis par te décider à aller au-devant des rêves et espoirs que ces spectacles font naître en toi. Mais l’horizon recule, il se dérobe, longtemps, gardant son mystère toujours. Tu te décourages. Peut-on tourner le dos à l’horizon ? Non. Devant toi à nouveau, le voilà, fermant ton univers, mais c’est toujours un appel entêté à le dépasser, à te dépasser. Celui qui brandit un drapeau a-t-il le regard fixé sur l’horizon ? Et la femme portant sur sa tête un lourd fardeau qui s’amenuise puis disparaît derrière un repli de terrain en semant un flocon de poussière, quel est son ailleurs ? Et le marin au cap Horn, devant l’énorme masse liquide et mouvante qui se dresse devant lui haute comme un immeuble raconte-t-il devant un public de terrien, sait-il où trouver son horizon ? Que dire de l’oasien assoiffé qui se précipite vers le lac tremblotant brusquement apparu au loin, bordé de pâles silhouettes de palmiers ?

Ce sont songes et mensonges d’un horizon implacable.

Danielle Fayet

Moi, mon seul horizon c’était la solitude

Moi, mon seul horizon c’était la solitude. Quand bien même, entend-on sur les ondes ce refrain, la solitude, ça n’existe pas, j’ai longtemps fait de la solitude un refuge, aujourd’hui encore, parfois.

Bien entendu, je ne suis pas né avec ce sentiment mais c’est insidieusement qu’il a envahi mon univers. En réalité je ne suis pas né solitaire, mais déjà au berceau la solitude m’enveloppait comme un lange. Pas de soins maternels, pas de cocooning dans le lit parental, mais quand même une bienveillance qui ne me comblait pas, et la solitude qui me berçait.

Forcément, je ne pouvais pas comprendre les fondements de cette solitude, même, si mon histoire racontée fait ressortir une enfance plutôt timide dès la maternelle – maternelle ignorée de mes parents, absents.

Mais tout cela, devait néanmoins me sembler naturel, car la solitude ne s’apprend pas, elle vous apprivoise. Comme une mère, elle vous entoure, cohabite, vous fait des clins d’œil si bien, que vous finissez par l’adopter comme une amie, une confidente. Alors le grand lit, dans la chambre du fond, juché à un mètre du sol, se transformait en niche où, protégé par un édredon d’une grosseur invraisemblable, je pouvais tantôt m’habituer, tantôt haïr ma solitude. Alors le tas de sable, déposé contre le mur à l’arrière de la maison, sans doute à l’abri des prédateurs, mais hors de vue de mes grands-parents, était-il pour moi le terrain de jeux idéal, pour jouer avec la solitude. J’y faisais des châteaux de solitude, y creusais des tunnels de solitude, y cachais mes quelques soldats de plomb pour enfin, faire la guerre à la solitude.

Mon seul horizon, croyais-je, était la solitude. Au fil du temps, cette compagne m’est devenue fidèle et même, si la vie ma révélée plusieurs visages, la solitude sait, quand cela est nécessaire, toujours venir à ma rescousse.

Didier d’Oliveira

Paysages

Passer le fronton de la plage, les derniers réverbères, les dernières cabines de bain et se laisser transporter par un crépuscule naissant. S’imaginer un ciel bleu sombre, noircissant encore, des nuages blanc-gris virant au sombre et, entendre le chuintement léger d’une bise, faisant seulement claquer les drapeaux de plage. Et, sans forcer, d’un simple plissement des yeux, découvrir au loin, la bande claire de sable fin qui fait deviner un début d’horizon. Et puis, rien qu’au travers cette image, se laisser imprégner de l’air salin, qui vivifie et qui détend, préparant ainsi une nuit bercée d’un doux ressac.

Vous voulez comme ce chasseur d’images, que cet instant dure, alors, décalquer cette photo et son ambiance sur vos rétines, avant de vous en retourner.

Le rêve commence-t-il derrière cet horizon, sur sa ligne ou bien,  avant même d’y arriver ? Tout est question de plénitude et de sérénité. La fermeture maintenant de vos paupières, n’empêche en rien, la fabrication d’un autre univers. À cet horizon, votre espace spatiotemporel vous laisse incertain, vous suggérant que vous appartenez toujours au monde réel, bien que s’y déroule des événements irréels. C’est comme cela, qu’opère la magie du rêve. C’est pour ça que vous ne pourrez pas trouver d’aboutissement sur la ligne d’horizon, qui n’est qu’imaginaire. Car, pris par la tendresse de vos pensées, vous avancez toujours plus loin, désirant vous gorger de plénitude, mais vous n’atteindrez jamais réellement le plein de ce bonheur tant désiré, de ce rayonnement. Pourtant quand vous vous réveillerez ce sera l’esprit bienfaiteur du rêve que vous retiendrez. Alors, quand la nuit s’achèvera, ne croyez pas que l’horizon s’altérera, car les soirs suivants, vous y retrouverez de nouvelles limites insoupçonnées.

                   Et vos pensées elles-mêmes, deviendront votre propre horizon.

Didier d’Oliveira

Moi, mon seul horizon c’était la lecture

J’ai vécu toute ma vie avec les livres. Mais il y a un moment où ils m’ont particulièrement transformée, à l’époque de l’adolescence, pendant les années de lycée. Mille neuf cent soixante cinq, quinze ans, l’année de la seconde fut la plus fondamentale : l’âge des éveils, des prises de conscience.

La vie réelle était gaie dans la famille et avec les ami.es. Mais nous avions peu de distractions, peu d’occasions de sortie, pas d’écrans pour occuper le temps, pas assez d’argent pour voyager, partir en vacances. Au lycée et dans la société régnaient les interdits : interdit d’approcher les garçons, pas de mixité, blouses beige une semaine, rose l’autre semaine, interdit de faire l’amour, pas de contraception ni d’avortement ; un lycée réservé surtout aux enfants des classes bourgeoises ou moyennes. J’étais décalée quand les autres racontaient leurs vacances au ski ou exhibaient leurs fringues à la mode, pas envieuse mais pas dans ce monde-là qui ne me plaisait pas du tout. Ma revanche était de leur damer le pion grâce à ma culture littéraire et historique. Je cherchais autre chose que cet horizon borné de la séduction, du mariage, de la vie de couple, de famille, de la société de consommation. La lecture étanchait ma soif d’absolu. La lecture était mon refuge, ma vengeance, mon évasion, ma niche écologique. Grâce aux livres je réussissais à élargir mon horizon, ma façon de penser et à comprendre le monde.

Alors certains livres sont entrés dans ma vie, m’ont imprégnée, pour ne plus jamais en ressortir. J’ai vécu cachée avec Anne Franck. Quand je fermais les yeux, je pouvais la voir en train d’écrire son journal. J’ai cherché à savoir pourquoi, j’ai avalé, avalé les livres sur les guerres mondiales, les camps de concentration, lu tous les romans de Primo Levi, Treblinka … Je crois que date de cette époque le désir de m’engager pour que de telles horreurs ne se reproduisent plus. À la même époque j’ai vécu avec Madeleine Riffaud  dans les maquis Vietcong  et ne ratait plus une seule manifestation contre la guerre du Vietnam. Je crus, durant une courte durée, à l’existence d’un pays eldorado, le socialisme soviétique ! J’ai dévoré alors les romans russes, en particulier Tolstoï : Anna Karenine, Guerre et paix, Tchékov, Gogol, Tourguéniev … Pour ne pas faire les choses à moitié, j’avais même choisi le russe comme seconde langue.  Heureusement j’ai vite ouvert les yeux pas seulement grâce aux livres. Mais eux aussi là encore m’ont aidée à y voir plus clair comme ceux de Soljenitsyne, et d’autres sur le goulag.

Je voulais savoir comment vivaient les peuples d’ailleurs, d’Afrique, d’Amérique du Sud. Je me suis passionnée pour l’anthropologie, Lévi Strauss, Margaret Mead.

Puis j’ai abordé la philosophie politique avec Marx. Avec ma meilleure amie, en seconde on a déchiffré ensemble le Manifeste qui nous a paru alors si difficile à comprendre.

J’ai conservé jusqu’à l’année de terminale, puis à l’Université cette boulimie de lectures, lisant les classiques : Balzac, V. Hugo les misérables, Germinal. Avec les  hauts de Hurlevent  j’ai réfléchi à ce qu’était une vie de femme dans un monde d’hommes. J’ai adoré vivre dans le monde flottant et romantique du Grand Meaulnes.

Je comblais mon désir d’aventure et d’amour avec les romans d’Ernest Hemingway. Je me suis passionnée pour la guerre d’Espagne grâce à Pour qui sonne le glas. Je sens encore la main de Jordan passer dans les cheveux courts de Maria.

Dominique Pierre

Moi, mon seul horizon c’était l’écriture

Élevé dans ces immenses régions centrales où venait se perdre la route poussiéreuse qui aboutissait à notre ferme, je n’étais pas fait pour la chasse, la poursuite du gibier avec mon père, l’élevage des chevaux, la manutention des machines. J’avais dix ans, je me rendais à l’école en attendant le bus à la croisée des chemins. Le paysage s’étendait à l’horizon, cultivé par les fermiers qui s’appauvrissaient à mesure que le prix de l’eau, privatisée, augmentait. J’ai vécu dans cette atmosphère de champs désertés, autrefois prospères. Mes parents et mes frères tentaient de se raccrocher à l’idée d’une exploitation encore rentable. Ils ne comprenaient pas mon repli dans ma chambre à contempler l’ennui qui suintait par la terre labourée. Je descendais vers la rivière qui coulait en certains endroits en torrent rapide. Perché dans mon arbre favori, j’observais au loin la maison qui me semblait un décor de théâtre. J’étais un enfant triste, toujours à chercher une raison pour m’isoler, ne trouvant aucun réconfort dans les jeux ou les échanges avec les autres.

Un jour ma sœur, la seule fille de la famille et la plus proche en âge, m’offrit un petit carnet avec un crayon attaché. Sans rien me dire elle le glissa dans la poche de ma salopette.

Sans y penser j’y inscrivis tout d’abord des bribes de conversations entendues à la maison, dans le bus, à l’école. Ces paroles se mirent petit à petit à se répondre. Je les mélangeais, les malaxais, les organisais. J’y adjoignis des cris d’animaux, des interjections téléphoniques où j’ignorais l’interlocuteur. J’imaginais le personnage à l’autre bout du fil souvent grossier, obtus, parfois violent. Je me battais ainsi contre des gens intolérants, j’exacerbais mes colères en les menant jusqu’au bout.

Puis mes personnages prirent corps. Je ne les entendais plus, je ne me heurtais plus à eux uniquement par la parole, je les visualisais. Les descriptions me prenaient du temps, il me fallait chercher les mots. Au début, ils se ressemblaient dans la laideur, ou au contraire étaient très opposés. Mais il me fallait aller au-delà. A cette époque, j’avais alors douze, treize ans, je me mis à imaginer des monstres tous très cruels, menaçants. Ce n’était pas encore ces personnages de fiction que je mis en scène plus tard et qui m’amenèrent à l’écriture de scénarios. Non, ils rôdaient, parfois minuscules autour de moi et me criaient des sortes d’onomatopées dans les oreilles. Je voulais les chasser mais n’y parvenais pas. Mon seul salut était de les faire vivre puis de les éliminer par l’écriture.

Je passais le plus clair de mon temps à noircir mes petits carnets qui s’amoncelaient dans mes tiroirs. Je ne savais pas encore que j’en ferai des héros. Je ne pouvais plus me passer de leur compagnie, ils me soulageaient et me tourmentaient, ils m’étaient devenus indispensables.

C’est cela  je crois qui fut à la base de mon écriture scénaristique de bandes dessinées et de cinéma.

Moi, mon seul horizon c’était…

Moi mon seul horizon, c’était l’extase. Mais cet état de ravissement que je recherchais absolument m’a apporté de belles déconvenues et m’a conduit directement en enfer.

Je m’appelle Félix, j’ai 31 ans et cela fait seulement trois ans que je suis redescendu dans la vraie vie.

J’ai commencé à me droguer à l’âge de 16 ans, d’abord occasionnellement à des soirées ou des fêtes.

J’étais plutôt timide, pas sûr de moi, les filles me faisaient peur..

Mes parents m’ont appelé Félix, qui signifie « chance, bonheur » ; ou bien ils ne connaissaient pas la signification de ce prénom ou bien il s’agissait d’une mauvaise plaisanterie car le milieu où je suis né et où j’ai vécu mon enfance ressemblait plus à l’enfer qu’à la félicité. Dans la famille, le bonheur ne faisait pas partie du vocabulaire.

Je ne faisais pourtant pas partie du schéma habituel des quartiers dits difficiles, de la violence ou de la déscolarisation. C’était autre chose, mes parents avaient de l’argent mais pas de cœur ; les coups de trique et les humiliations jalonnaient ma vie.

Un jour, ou plutôt une nuit, mes copains m’ont proposé de l’ecstasy, promesse de bonheur ; j’ai essayé et ce fut le début d’une vraie histoire d’amour et de dépendance entre la drogue et moi. Par la suite, avec le LSD, j’ai fait la connaissance de l’extase.

Je ne vivais plus que pour connaître ces moments de béatitude que j’ai encore aujourd’hui beaucoup de mal à décrire et les redescentes sur terre étaient d’une violence inouïe doublée d’une souffrance physique intolérable. Je devais donc trouver toujours plus de drogues, toujours plus fortes pour éviter l’enfer.

Je ne vivais plus le monde , j’étais ailleurs et en danger de mort. Je me tuais doucement tout en me laissant bercer par un monde artificiel de douceur, de couleurs, de lumières et de musique.

Plusieurs doses trop fortes ont failli m’emporter et je disais alors que la vie sans drogue ne valait pas le coup d’être vécu. C’était donc une spirale sans fin.

La dernière overdose m’a conduit directement aux urgences et j’ai été pris en charge par la médecine.

De cures de désintoxication en rechutes , je suis enfin revenu dans le monde réel ; le choc fut rude parce que je ne savais pas où était le bonheur, personne ne me l’avait appris.

Je vis encore beaucoup de douleurs mais suis à la recherche de joies simples ; l’extase existe sûrement ailleurs et c’est à moi de la trouver.

Clarysse

 

Paysages

Sur un morceau de lande qui s’avance vers la mer, un petit sentier creusé par les pas des hommes se tortille vers l’horizon ; l’herbe est presque rase, balayée par les assauts fréquents du vent marin.

Le ciel est limpide et vide de tout nuage. Au loin sur l’horizon, une légère brume de mer, fines gouttelettes suspendues dans l’air.

Une lumière crépusculaire envahit le ciel ; bout de terre qui se jette dans la mer, pointe à l’herbe rase, désertée de tout être vivant.

Pour seul bruit le ressac incessant des vagues qui frappent les rochers.

Les oiseaux sont encore endormis, leurs chants accompagneront le lever du soleil ; l’odeur des algues est puissante, apportée par la brise légère qui monte de la mer.

Je m’évade derrière la colline là où le chemin s’affine, là où s’envolent les mouettes, là où la mer les appelle ; le jour commence à peine à délaver le ciel, la musique m’emporte à contre courant.

Un monde, ailleurs, mystérieux, m’attend. Ma survie ne tient qu’à un fil et je le sais.

Ma curiosité me pousse pourtant à aller plus loin ; le ciel m’appelle, tout m’est devenu léger, j’ai quitté la lourdeur de la terre.

En bas, les bateaux passent, minuscules petites fourmis. Heureuse de partir, je me laisse guider par la musique, je danse, je saute et je bascule. Je suis dans un vaisseau spatiale, la pesanteur n’existe plus.

Je me marre de voir les hommes se débattre avec leur petite vie si absurde. Pour moi tout est devenu facile ; j’arpente le monde en mode panoramique.

Le jour va se lever et la lumière est belle ; je suis devenue une caméra qui se promène autour de moi-même ; tout me paraît si clair et si juste.

Ce bout de lande qui m’a projetée dans la lumière, m’a plongée dans une seconde vie où j’ai enfin découvert la vérité. J’ai passé mon existence à me demander ce qu’est la mort et surtout quel est le sens de la vie.

Plus bas, les bruits du monde s’adoucissent encore ; je perçois clairement la marche des choses ; le grouillement des humains aux prises avec l’agitation de leur vie me semble absurde et dénué de sens.

La musique m’absorbe à nouveau, je laisse les notes me pénétrer et descendre dans mon corps ; je n’avais jamais su l’écouter si intensément, j’étais impuissante et incapable de m’abandonner entièrement à la beauté.

Ce bienfaisant état de grâce m’est difficile à définir autrement que comme une sorte d’extase et une clairsentience absolue. J’ai plus de souvenirs que si j’avais vécu mille ans et je me souviens de la vie de tous les humains ; je suis un énorme cerveau qui a englouti toutes les informations du monde.

Je glisse encore et perd définitivement toute accroche. Le jour se lève et pourtant tout redevient noir ; la musique s’est soudainement tue. Je me sens aspirée et remonte sur la terre ferme avec un fort sentiment de violence ; je réalise avec une douleur intense que ma vie n’a été qu’une vaste farce inutile et je refuse de tout mon être de continuer la mascarade.

J’ai perdu l’équilibre et l’harmonie ; le bruit des vagues me revient en premier et l’air saturé d’iode chatouille mes narines. Je sais que si j’ouvre les yeux, je vais revenir à la vie.

Clarysse