Lettre à Jean-Sébastien Bach

cher Jean-Sébastien Bach

la nuit la terre n’arrête pas de tourner la musique de tourner dans ma tête

ta musique et Glenn Gould

ta musique et le jazz

tu n’as pas connu le jazz

si tu savais comme lui te connaissait

ta musique n’arrête pas de tourner

d’entrechats en arabesques

de piano à queue en tête à queue

en clavecin clavier

il n’est pas interdit de chanter

ma voix rauque t’accompagne elle maugrée puis s’abstient

reprend sa course folle

s’alourdit de couleurs au passage s’envole dans un demi-sommeil il me semble t’entendre encore

beethoven était sourd et toi tu cours encore

les couleurs se mélangent la partition se déchire

entre dans la lumière

fait s’entrecroiser les sons et les sons me réveillent au creux de mon oreille

au creux de mon oreille surgit un grand chaos de notes bien rangées qui fuguent et me déplacent

je t’écoute jouer

Quand s’entrecroisent les octaves au plus haut les bémols sont là pour qu’à petits pas ta stature se relève

alors les barricades de Couperin n’ont plus pour moi de mystère

barricades mystérieuses facétieuses

mon esprit s’éclaire ta clé de sol m’ouvre un espace

une musique qui n’appartient qu’à toi

les Folias de Lully s’interposent pour enrichir ta prose

les sauvages de Rameau pour taper la mesure

je songe aux nuits d’été allongée sur ma couche fenêtres grandes ouvertes je regarde le ciel la voie lactée les galaxies les comètes la musique pénètre dans tous les pores de ma peau elle vibre sur ma peau et je ressens l’espace la matière et le songe

je songe et m’élargis en largo ma non troppo  je tape des branchies j’entrevois les abysses et puis revient le thème de ta fugue celui qui me rassure qui me prend par la main

la mélodie est là bien réelle et sonore j’écoute ta respiration tout s’éclaire sur ce second tableau s’inscrit un animal étrange aux pattes gigantesques aussi grand que la terre aux antipodes larges aux méridiens de grâce aux longitudes graves

toute légère que soit ta mélodie qui m’enlace m’étreint

j’y sens dans un dernier tableau comme une mélopée des siècles reculés un kaléidoscope de notes effrénées tombant d’un ciel étoilé en effervescence en transcendance pour moi seule égrenées comme un magma de poussière étoilé encollé de nuances gravées

ta fugue épouse la terre est bleu comme une orange

Sa circonvolution envahit mes neurones et ma gorge et mon cœur

mon père te reconnaît il reconnaît tes songes lui et toi vous parlez au travers de tes notes tes soupirs tes allitérations

je t’écoute entrelacer tes sphères

j’écoute ta langue immense celle que d’aucuns ont su te reconnaître

tu jaillis tu t’épuises et te donne

et moi je fugue aussi te suivant dans tes pérégrinations folles

je reconnais ta joie tes peines tes déchirures polies

celles que tu voudrais taire mais qui explosent en notes bien classées sur le gramophone sourd d’un père depuis longtemps sous terre

par toi nous communiquons

par lui j’essaie de te comprendre comprendre ce qu’est une paternité une œuvre

un œuvre que dis-je

qui nous rassemble en ce soir endeuillé d’étoiles de toiles

et de paternité

PASC

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