La fugue ou la belle échappée

A treize ans elle était orpheline, enfin à moitié, orpheline de père.

Avant déjà, ils vivaient pauvrement, une pauvre famille, une famille pauvre. Pôvrette !

La mère faisait les lessives pour des hôtels de la cité mariale. Elle allait chercher les draps avec sa pauvre charrette, trimait  tout le jour au lavoir du village et gagnait bien peu. Trop peu pour nourrir la famille.

La mère ne voulait pas que sa fille vienne l’aider, devienne comme elle, les mains dures et gercées toute l’année.

Alors elle fut placée dans un couvent de religieuses, des bonnes sœurs, disait elle.

Elle y vécut cinq ans, trois mois et sept jours. Revenant chez elle deux fois l’an.

Elle aussi y trima au jardin potager, aux champs sous le soleil écrasant l’été et au froid cinglant l’hiver quand le vent descend après avoir caressé la neige.

Elle s’y ennuya beaucoup, elle y souffrit subissant comme toutes les autres les colères, les rancœurs, les humeurs des bonnes sœurs.

Elle racontait les brimades, les punitions. La discipline y était rude, les conditions de vie aussi.

Elle racontait comment au réfectoire, lors des repas,  il était interdit de parler et une des pensionnaires devait lire les textes religieux,  debout au pupitre pendant que les autres mâchaient leur maigre pitance.

Par chance, elle était agile de ses mains alors elle y apprit la couture, et surtout la broderie. Elle brodait des trousseaux de mariage draps, nappes … que les religieuses vendaient aux jeunes filles plus argentées.

Elle aimait ce travail par dessus tout. Elle rêvait ainsi à de beaux mariages… Pauvre Cosette !

Elle y vécut cinq ans, trois mois et sept jours. Elle aimait à le préciser à nos oreilles d’enfants.

Alors le jour où on lui proposa de rentrer dans le noviciat, de rentrer dans l’ordre, de prendre le voile,  elle décida de mettre les voiles à sa manière.

Elle refusa fermement, obstinément disant qu’elle voulait se marier et pas avec Dieu…

Elle s’enfuit du couvent, une fugue, une vraie fugue. Elle parcourut les vingt deux kilomètres qui la ramenait chez elle à pied. Elle s’évadait, elle rentrait, libérée.

Comme elle l’avait soutenu auprès des nonnes, elle voulait se marier, fonder une famille une vraie. Elle épousa un peu plus tard le plus beau du village, son dieu à elle. Et c’est ainsi que je suis la fille d’un dieu et d’une presque nonne.

Nicole

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