Rencontres

La 2CV jaune aux ailes bleu marine lui donnait du bonheur, joie de revivre son jeune âge et fierté de l’opération à corps ouvert réussie. Le garage de son cousin de Brive les avait accueillis tous les deux. Germain chantait à tue-tête : c’est un beau roman, c »est une belle histoire, ils s’étaient trouvés sur le chemin etc….., accompagné par le clapotis de la capote ouverte.

Il avait pris la route, le portefeuille bien garni, la carte bleue accessible. Il décida de quitter la N20 et emprunta la D140 vers Cressensac. Les 50 km/heure que lui permettait son bolide encourageaient sa rêverie et les fouilles dans ses souvenirs.

Le long de la bordure droite de la voie, il vit un piéton, corps svelte, muni d’un bâton de berger, coiffé d’un grand chapeau noir, un panier d’osier à l’épaule. Il dépassa le marcheur, ralentit et levant la vitre du côté droit, proposa de s’arrêter pour le faire monter dans sa voiture. L’individu tourna la tête vers lui et sourit. C’était une femme au profil parfait, la nuque précieuse découverte par un chignon qu’on devinait sous le chapeau couvert de fleurs délicates sur le devant. Habillée d’une longue robe noire, le buste bien haut et fier, la marcheuse s’arrêta et joignit ses doigts recouverts de dentelles noires dans un geste d’apaisement et de remerciement. Germain se retrouva à ses côtés et scruta son regard vert émeraude qui le troublait déjà. Une odeur de mimosa le transporta, couvrant celles du bitume et de l’essence.

Il hésita et avec courage l’aborda :

— Vous souhaitez monter dans mon antiquité ?

Elle réfléchit et d’une voix douce :

— Je ne veux pas, j’ai fait vœu de marche.

Lui :

— On est encore loin de Saint-Jacques. Vous allez où ?

— Tout droit je crois. Cette route sera celle de ma vie, à la fois sinueuse et tracée.

Germain :

–Vous marchez depuis quand ? depuis où ?

— Je ne sais pas et ce n’est pas important, je suis heureuse ainsi.

Il profita d’un temps de silence pour vérifier le contenu du panier : des fleurs des champs variées et fraîches, pas de bagage, pas d’eau, juste une miche de pain de campagne.

Un malaise s’installa chez lui et il décida de la suite :

— Vous montez ? Je vous emmène ?

Elle :

— Non, vous n’avez rien compris, ce n’est pas vous que j’attends.

Elle reprit son chemin, il la dépassa et se demanda dans quel monde elle habitait : la folie ?

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1972 : j’habite rue des Halles à Paris. Les travaux de comblement du trou se poursuivent bruyants et poussiéreux. J’ai rendez-vous avec Jasmine dans le quartier du marché aux poissons. L’odeur n’y est plus, les poissons non plus.

La première fois où je vis Jasmine, je fus subjuguée par sa beauté. Corps musclé bien proportionné, cou gracile, cheveux de jais, jambes galbées de marcheuses et fines chevilles. Un port de tête de reine ! La robe bigarrée ouverte sur une poitrine offerte, des échasses pour souliers, une bouche de coquelicot qui ne ternit pas, enfin des yeux charbonnés à outrance. Certes une reine mais du bitume. J’avais trouvé l’héroïne de mon futur reportage et me rendais, impatiente, au café de l’Abattoir.

Je la vis attablée dans un coin, jambes croisées haut, cigarette fichée dans la bouche, devant un chite blanc bien sec :

— Bonjour, Marcelline Lebrun du journal Les Guinguettes, merci d’avoir accepté de répondre à mes questions.

— Tu te souviens ? Moi c’est Jasmine. J’ai qu’une parole, j’te  cause mais rapide mon compteur tourne. Et tu veux savoir quoi ? Le nom de mon mac, c’est le même que Ginette, et les autres de la rue. Où il m’a ramassée, et j’avais quel âge ? Et mon gars, mon bébé, mon cœur, celui qu’il m’a forcé à abandonner il est où ? Il connaît sa mère ? Et mon malheur, t »en as quelque chose à carrer, tu veux des détails ? Moi j’te l’écris ton putain de bordel d’article. Ce sera le prix de deux passes et j’te cause !

RMQ

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