Le fuyard

Au milieu de la basse cour, le coq salue les premières lueurs du jour. Un jour comme les autres ? Pas tout à fait. Le chant du coq est suivi de l’aboiement des chiens nerveux, excités.

Dans sa chambre, l’homme alerté par leur chahut inhabituel se lève rapidement, ouvre la fenêtre et à travers les persiennes observe la place du village.

Rien ne bouge et pourtant il lui semble que le glouglou de la fontaine soit plus précipité que d’habitude. Le regard fixe, l’homme observe le chat noir des voisins qui contourne la fontaine, il presse le pas pense-t-il, non, vraiment il se passe quelque chose.

Dans le silence de la chambre il perçoit les battements de son cœur accélérés par une sourde angoisse qui l’envahit. La tête prise dans un étau, il ferme les yeux et chaque pulsation bourdonne au niveau des tympans. Vite, il faut faire vite ! Il attrape ses vêtements, s’habille à la hâte, ramasse son sac et se fige au moment où il ouvre la porte de la chambre. Crissement aiguë des pneus d’une voiture qui stoppe sa course au pied de la fontaine. L’homme jette un œil rapide, oui c’est eux, ils viennent le chercher c’est sûr ils vont fouiller les maisons et le trouver.

Non pas maintenant, pas tout de suite. Pas possible !

Dans sa fuite éperdue il dévale l’escalier aperçoit au fond du couloir la vieille femme qui l’héberge depuis quelques jours. Il la salue rapidement, jette un billet pour tout compte. Son petit fils se précipite et le ramasse, son cri perçant déchire l’atmosphère.

Il ouvre la porte côté jardin, franchit la barrière poursuivi par le chien qui aboie et grogne furieusement. Il disparaît dans le bois qui jouxte le village, s’éloigne promptement, droit devant.

Pas de chemins, il zigzague entre les arbres, souffle, peste, pleure de rage. Ils ne m’auront pas… ils ne m’auront pas…

Le jour se lève doucement, l’homme retrouve un peu de calme. Il sursaute au moindre bruit, à l’affût, il ralentit le pas, les battements s’apaisent, marche à grande enjambées pose les pieds sur les feuilles mortes qui crissent sous son poids.

Ils ne m’auront pas …

Soudain un bruit qu’il connaît. La cognée du bûcheron. Régulière et puissante ils abattent le chêne. C’est leur travail, leur métier. Ils ne sont pas du village. On fait appel à eux, ils se déplacent de village en village. On les croise sur la route dans leurs carrioles brinquebalantes. La route est leur domicile. L’homme s’approche de la clairière. Ils l’aperçoivent continuent à cogner le tronc du chêne.

L’homme pose son sac, retrousse ses manches, empoigne une cognée et à son tour frappe l’arbre d’un mouvement régulier et rythmé. On ne lui pose pas de questions.

Le soir venu, l’arbre abattu, ils repartent d’un pas lourd et tranquille. L’homme rejoint le camp. Les forains sont installés à l’orée du bois.

On ne lui pose pas de questions. Ils quittent le camp le lendemain, prennent la route de leur pas lent et serein. L’homme traverse les forêts, les vallées, les villes les villages, traverse les frontières. Il s’est fondu dans le paysage.
J’ai même rencontré des tziganes heureux  pense-t-il,  ils ne m’ont pas eu, ils ne m’auront pas ! 

M. Odile Jouveaux

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