Chemin du garde forestier

Tout en cherchant à réveiller un souvenir éphémère, qui semblait à ce jour enfoui au plus profond de lui-même, Olivier se surprit en tenant ce raisonnement : trouver du bois de chauffage, en faire la coupe personnellement, est une opération rentable, qui plus-est, voilà une saine occupation, je vais demander à mon ostéo, si cette activité est compatible avec mes problèmes lombaires.

A dire vrai, Olivier n’aurait jamais entamé ce processus si, un autre élément de l’annonce n’avait retenu son attention. En réalité, la maison des Essarts représentait un lien probable avec un passé inconnu de lui, mais qui pourtant, l’incita sans plus de réflexion à acquérir le lot. Acheter une tronçonneuse, est à la portée de tout le monde, mais fouiller l’insondable, n’est pas à la portée de tous.

Les parents d’Olivier n’étaient plus de ce monde depuis plus de vingt ans, il avait six ans quand le drame était arrivé. Il en était de même de leurs frères et sœurs. Des cousins, il ne savait pas. Il ne s’était jusqu’alors, jamais posé la question.

Pourtant, il avait un souvenir tenu de sa mère native d’Oissel, évoquant la briqueterie des Essarts, un terrain de jeu pour elle et son frère.

Voilà donc l’élément déclencheur, les Essarts d’Olivan, et ça allait être la première goutte d’un révélateur qui allait fixer l’idée d’un pourquoi pas !

A contrechamps, Olivier avait su par sa mère adoptive qui, elle aussi s’était éteinte l’an passé, que sa vraie mère, sa génitrice ne connaissait pas elle-même ses ascendants. Sa grand-mère Yolande, immigrante de Géorgie était morte en couches, tout juste un an après sa naissance et son amoureux, le grand-père d’Olivier en réalité était quant à lui disparu, mort au combat pendant la seconde guerre.

Donc résumons ; une ville de naissance côté maternel et un fameux chemin des Essarts, comme sur l’annonce d’Arbres & Forêts.

Le temps de débroussailler l’administratif, Olivier se rendit à Olivan, avec une certaine fébrilité. Il avait pourtant hâte de se rendre au plus vite sur la parcelle. Il lui fallut, d’après les renseignements pris en mairie et muni d’un plan de la ville, laisser sa voiture sur le bas-coté du sentier qui n’était plus carrossable et faire quelques pas pour découvrir un vieux panneau de tôle, piqué par la rouille sur lequel, il pouvait encore lire Chemin du garde forestier.

Bien que défoncé par endroits et en partie envahi par quelques ronces et fougères jaunissantes, le chemin était large, on aurait pu croiser deux engins en contresens et il était frangé de parts et d’autres, d’une double ligne de marronniers majestueux.

C’est donc fin octobre, en cette saison automnale, qu’Olivier s’engagea dans ce décor bucolique pour prendre possession de son acquisition.

Le bruit particulier que faisait la craquelure des bogues de marrons qui constellaient le chemin. Cela lui rappela à nouveau les jeux de son oncle et de sa mère les jeux de frondes, les jeux de lance-pierres, les colliers de marrons !

Puis la nature même du terrain changea, le chemin était devenu Orange, constellé de fragments de briques et le cœur d’Olivier s’accéléra ostensiblement. La palpitation de son ventricule était diffuse, pourtant il lui sembla en cet instant que, l’écureuil sur le côté en arrêt sur une branche maîtresse, réagissait aux pulsations de son organe, tant que ses petites oreilles s’étaient mises en alerte, simultanément à son émoi.

Un bon kilomètre plus loin, les sens désormais exacerbés, Olivier découvrit sur sa gauche les vestiges de la grande cheminée de feu, l’ancienne briqueterie désaffectée depuis plus de cinquante ans.

Ainsi donc, le chemin de la maison du garde forestier et celui de la briqueterie était le même, voilà donc une nouvelle pièce d’un hypothétique puzzle qui se mettait en place.

Tout juste remis de cette émotion intangible, il se remit en route, quelques pas, et il entendit comme la stridence d’un freinage intempestif, celui d’une orfraie sans doute ou d’un quelconque busard fondant sur sa proie.

Une flagrance pour Olivier que cette stridule, car elle fut le déclencheur d’une nouvelle émergence en son cerveau : Roger. Roger était le nom du frère de sa mère, Roger le bûcheron ou encore Roger le forestier, surnom surprenant sachant que, son oncle était couvreur de son état.

A mi-chemin entre ces fulgurances et le besoin matériel de découvrir sa parcelle, se disant qu’il reviendrait une prochaine fois, inspecter les ruines de la briqueterie, Olivier ne tarda pas d’arriver à la fameuse maison du garde forestier.

Le temps commençait à se rafraîchir, un amoncellement de nuages se forma à la verticale de la forêt, effaçant en une fois tous les rais du soleil, que filtraient les grands marronniers. Une grille non cadenassée fermait l’accès à la grande maison, de façon illusoire étant donné que le reste de l’enclos qui à l’origine devait-être une charmille entretenue, mais dont les charmes faute de soins, avaient poussé outrageusement, laissait entre ceux-ci le passage pour un homme ou toute sorte d’animal.

Olivier dut s’y reprendre en plusieurs fois pour ouvrir le portail, dont les gonds étaient bien rouillés. Il y parvint en s’arc-boutant dos à la grille qui céda enfin, avec une sorte de cri à la Frankenstein.

Décidément, tous ces petits événements concomitants semblaient propices pour Olivier et contribuèrent certainement à sa nouvelle décision :  il occuperait dorénavant son temps libre, à la recherche de ses ascendants. La maison du garde forestier d’Olivan, la briqueterie terrain de jeu probable de sa mère, deviendraient son havre de paix et sa source de régénération.

En attendant, maintenant d’arpenter la propriété, il s’assit sur une souche, impatient d’en conclure avec l’agent de l’O.N.F. et, bien qu’il n’en ait pas l’accès il lui demanderait même brièvement de pouvoir pénétrer dans la bâtisse.

Un clabaudage d’abord lointain puis se rapprochant rapidement le fit revenir à la réalité, un Setter cessa ses aboiements et se mit à japper en lui reniflant les souliers. Le technicien forestier venait de faire son apparition…

Didier d’Oliveira

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