Franchir la frontière

Elle est assise à sa table d’écriture. Sur la chaise de jardin, elle a posé un coussin couleur safran pour en améliorer le confort.

Elle a hésité, puis a fini par choisir le papier : blanc, format 21×29,7 et un stylo à bille noir. Elle a fermé et repoussé son ordinateur. Elle tourne son stylo entre ses doigts. Elle s’étire, se lève, va chercher un verre d’eau. Elle déplace sa chaise pour présenter son visage à la chaleur du soleil matinal qui entre par la fenêtre. Elle ferme les yeux, attentive aux bruits : le ronronnement paisible de la machine à laver, le vent qui secoue le store. Elle ouvre les yeux, regarde la feuille vierge devant elle. Où trouver les mots pour décrire l’indicible ? Des idées, des lambeaux de phrases, des suites de mots peinent à émerger. La tentation est forte de renoncer…

Et soudain, c’est comme une digue qui se rompt… Les mots se bousculent, tentent de s’aligner en phrases, elle raye, puis réécrit en déplaçant les termes, elle va à la ligne, marque d’un astérisque le passage à reprendre plus loin, hésite devant un mot qui lui semble excessif ou par trop imprécis, va chercher le dictionnaire, le feuillette fébrilement. On frappe à la porte. Elle fait comme si elle n’avait pas entendu, comme si elle n’était pas là parce que si elle se lève et sort du bureau, elle n’aura pas le courage de reprendre le cours de sa tâche. La maison redevient silencieuse. Quand elle lève enfin la tête, la pénombre commence à envahir la pièce. Elle rassemble les feuillets raturés, couverts d’une minuscule écriture, ouvre son ordinateur et soupire.

Voilà… le plus difficile est fait : poser tout ce qui vient, comme ça vient. Je choisirai, sans doute… Mais pas tout de suite… Il faut relire tout ça… pas sûr que ce soit intéressant… Pas sûr que ce soit ce qu’on attend de moi… Comment raconter ? Faut-il tout dire ? Comment cela va-t-il être compris ? Est-ce bien utile de remuer tout ça ? Pourquoi ai-je proposé d’écrire cet article ? Et si je leur disais que finalement, cela ne relève pas de ma compétence…

La sonnerie stridente du téléphone la fait sursauter.

Allo… Salut… Oui, c’est fait, j’ai presque fini… Je t’envoie ça demain matin…

Danielle Fayet

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