Tapisserie du château d’Angers

Dans la forêt de sapin, sous un ciel d’hiver étoilé, un berger, un tendre agnelet juché sur ses genoux, attendait patiemment que les enfants auxquels il avait signe de le rejoindre sortent de leur abri pour grimper les quelques marches qui menaient à lui. Un livre à la main, il s’apprêtait à leur enseigner les règles de l’élevage ovin et les commandements d’un bon berger. Les trois enfants serrés les uns contre les autres se frottaient les mains pour tenter de se réchauffer. Soudain surgit dans un tintinnabulement de sonnailles qui firent fuir derechef le pauvre agneau effrayé, un manant aux pieds nus enveloppé d’une longue houppelande rouge.

Sa longue barbe flottant au vent, il se précipita vers les enfants. Halte-là, s’écria-t-il, que vous importe l’élevage ? Que vous veut donc ce mécréant ? Nous avons bien mieux à faire. Voyez là-bas, mes rennes vous attendent ! Et les enfants, n’écoutant pas les appels du berger désespéré qui leur criait de n’en rien faire, montèrent gaiement à bord du traîneau qui disparut dans les profondeurs de la forêt. Le temps du voyage leur parut bien court tant le  bonhomme leur contait de merveilles. C’est la nuit de Noël, mes petits anges, une nuit magique où tous les enfants sont rois et reçoivent caresses et cadeaux. Leurs yeux brillaient de bonheur et de ravissement à l’idée d’être autant fêtés, eux qu’on ne destinait qu’à être de misérables bergers. Bientôt les rennes s’arrêtèrent au pied d’un immense sapin tout de guirlandes et de lumières illuminé. Ils étaient arrivés et le Père Noël, car c’était son nom, leur indiqua la porte d’une charmante maisonnette et les pria d’entrer. Allez, mes petits, vous installer au coin du feu et vous réchauffer.  Pendant que les enfants s’extasiaient en découvrant tout autour d’eux des monceaux de paquets enrubannés, le Père Noël leur préparait un bon chocolat chaud à sa façon. Vous pourrez prendre tous les cadeaux que vous voudrez, mes mignons susurra-t-il, mais d’abord buvez votre chocolat.  L’œil pétillant, il servit à chacun un grand bol fumant et les regarda boire en attendant qu’il fasse son effet. Car le Père Noël était une ordure et le cacao avalé, les enfants s’étaient promptement affaissés sur leur siège, profondément endormis et incapables de manifester la moindre résistance. Aussitôt arrachée, la fausse barbe dévoila un sourire carnassier et des dents acérées. Vous l’aurez compris, notre Père Noël était un ogre qui s’apprêtait à dévorer les pauvres victimes piégées. Alors qu’il était occupé à aligner les petits corps les uns à côté des autres, il n’entendit pas le petit claquement de la porte et, le dos tourné, ne vit pas la clé qui doucement, tout doucement, tournait dans la serrure. Allez, à table !  furent les derniers mots qu’il prononça avant que le gourdin du berger ne s’abatte sur son crâne. Ce dernier avait bien senti le malin dans l’apparition de l’homme rouge et aussitôt le traîneau disparu avait enfourché le bélier de son troupeau pour le poursuivre. Puis il avait suivi les préparatifs du bonhomme par une fente de la porte et muni d’une bûche de bois bien compacte, avait guetté le moment opportun pour intervenir. Une fois le danger écarté, il s’empressa de réveiller les enfants qu’il autorisa à choisir un cadeau avant de repartir. Quand ils ouvrirent le paquet, ils découvrirent un simple morceau de papier sur lequel ils purent lire : Faut pas croire au Père Noël.

Annie Brottier

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