Texte de M. Odile Jouveaux

 

L’almanach

porte-mémoire

 

Je n’ai pas le culte des objets mais je dois dire que certains ont l’art de sauter au visage le jour où on les déniche dans le fond d’une valise entre un vieux Paris-Match et un cahier de recettes de cuisine soigneusement manuscrites par ma grand-mère.

Celui-là, je l’avais complètement oublié, sorti de ma mémoire. Le support en carton jauni par le temps laisse apparaître l’année : 1957, les mois qui encadrent la photo centrale : un jeune couple assis sur le sable, pique-niquant. Bon appétit  dit la légende. De quoi parlent-t-ils ? Ils rient. 1957 : Pour ma famille cette année-là, tout a changé.

Suspendu à la porte du placard l’almanach de la poste trône dans la cuisine. On le consulte pour découvrir le saint du jour. Avec un peu de chance c’est mon jour de fête et comme je porte un prénom double je suis élue deux fois, en décembre et en août ! Ma grand-mère a pris soin de souligner les prénoms des membres de la famille. Viennent s’ajouter les dates anniversaires de naissance.

En marge du jour où on fête l’un d’entre nous, ma grand-mère a pris soin d’ajouter le nom du gâteau préféré du récipiendaire.

Gâteau visitandine, reine de sabbat, baba au rhum, bredele, kugelhof, un rite immuable auquel on ne déroge pas. Entre une tarte aux pommes maison, un pain d’épices orange-cannelle, mon père ajoutait quelques événements marquants qui ponctuaient les mois de l’année. Ainsi, je vis un jour, un nom s’inscrire au mois de juillet 1957 : Jacques Anquetil avait gagné le tour de France !

Puis ce même mois, nous habitions le sud, on peut lire : chaleur, sécheresse, Paris 35°. Coupures d’eau. Ma grand-mère remplissait les sauts avec l’eau du robinet qui coulait en mince filet. Parfois nous allions faire la queue dans la rue à la fontaine du quartier pour avoir notre ration d’eau…Apparu cette année-là un virus terrible qui affola le monde entier. Attention, les jaunes attaquent, péril chinois à nos portes : écrit en bas à droite en rouge : grippe asiatique !

Cela me faisait peur mais jamais je n’ai rencontré un jaune dans la rue. La grippe oui, elle attaquait, infestait les petits blancs.

Une fois, mon père, pris d’une envie de poésie a écrit : guerre des étoiles je trouvais ça joli, mais il avait l’air grave et sérieux m’expliquant alors que les grands de ce monde faisaient de l’espace leur nouveau champ de bataille. Ils envoyaient des engins depuis la terre. Le premier à décoller s’appelait Spoutnik1. Je trouvais ça rigolo. Mais mon père ne riait pas. Cette année fut aussi pour nous l’année du renoncement. Changement radical de vie. Mon père était marin. Il était question de traverser la méditerranée pour régler quelques événements qui troublaient l’Algérie. J’imaginais le désert, les chameaux, le ciel bleu, les palmiers…

En bas du calendrier juste sous la guerre des étoiles ma mère a ajouté de son écriture fine et régulière : pour l’Algérie c’est non ! Je ne te suivrais pas… 

Juste en dessous mon père a écrit  message reçu, je quitte la marine, on lève l’ancre…

Laisser un commentaire