Ne coupe pas le moteur …

Chaque matin c’est la même routine. Il a beau partir une demi-heure avant, un quart d’heure après, toujours le même bouchon au même endroit. Depuis quelques années il a quitté la ville pour fuir le bruit, la pollution.

Il s’est réfugié loin du brouhaha, de l’agitation urbaine, le tête emplie de rêves bucoliques, de champs ondoyants sous le vent, de promenades en forêt. Enfin c’est ce qu’il espérait. L’ennui c’est qu’ils sont nombreux ceux qui ont imaginé se mettre au vert, se détendre à la campagne. La même idée au même moment. Alors comme ils n’ont pas déplacé le travail à la campagne, ils se retrouvent tous sur la même route à la même heure pour rejoindre la même ville.

La voiture est convertie en espace de vie… Il s’est aménagé un coin grignote avec thermos de café, bouteille d’eau, barres chocolatées … un espace bureau, téléphone accroché au tableau bord, il peut vérifier son agenda, prendre ses rendez-vous, dicter son courrier à sa secrétaire qui quelques voitures plus loin enregistre sagement les consignes du patron.

La voiture, elle, est habituée. Démarrage, mise en route, quelques kilomètres à petite vitesse histoire de se déverrouiller les roues puis premier ralentissement et stop sur les feux arrière du véhicule précédent. Le moteur tourne lentement, il ronronne, On finit par reconnaître les occupants du véhicule qui nous précède. Aujourd’hui c’est le couple aperçu hier se chamaillant, pestant à propos de tout et de rien, du brouillard qui obstrue la vue, des infos qui diffusent leur lots de vraies fausses nouvelles, du conn… devant qui n’avance pas alors tu la pousses ta caisse !

Notre chauffeur a bien du mal à garder son calme. Pour se distraire, il met la radio : info-trafic ! Et vlan ! Justement aujourd’hui, ils ont installé une circulation alternée sur la voie rapide, pour repeindre la ligne blanche continue au sol. Les cons ! Peuvent pas faire ça la nuit !

Notre homme réfléchit, prévient sa secrétaire :

— Je tente un demi-tour et passe par le chemin qui longe la voie rapide

— Ok ! Répond-elle, je continue, on verra bien qui arrivera le premier ! Elle rigole, tout en batifolant sur sa messagerie.

Le demi-tour s’avère une opération périlleuse, chaussée boueuse, glissante, la voiture se coince entre le bas-côté de la chaussée et le cul d’un camion énorme qui lui bouche la route, cette fois ci dans l’autre sens. Notre homme s’énerve un peu, il change de radio, le blabla habituel, les théories fumeuses, les prévisions angoissantes rien ne va plus, cette fois-ci on n’avance plus du tout. Pendant un court moment il se distrait en observant les conducteurs des véhicules environnants, tous absorbés par le téléphone : tiens en voilà une qui finit de se maquiller en s’observant dans le rétro.La copine à côté commente et rigole. Décidément, ce moment volé à la journée de travail, c’est un peu une cour de récréation, un sac de survie entre la maison et le boulot, un sas de décompression.

Ferme les yeux, bonhomme, tu vas pouvoir t’évader et penser à tes prochaines vacances. On annonce cinq cents kilomètres de bouchons cumulés sur les routes de l’exode. As-tu toujours envie de fuir ?

Le ronronnement du moteur ponctue les minutes qui s’entassent à l’intérieur du véhicule. L’homme commence à s’assoupir, il a coupé le téléphone et changé de radio. Il repart en arrière, écoute évasivement la fuite de Louis XVI avec Marie Antoinette, direction Varennes où il fut arrêté ! Lui au moins il a pu rouler !!!

— Le voilà loin, très loin de la réalité ! Il rêvasse, quelqu’un cogne à la portière : le chauffeur du camion qui le précède, une bouteille de bière à la main.
Bon, allez on trinque ? C’est la dernière !

— Combien par jour ? s’enquiert notre homme

Je ne sais pas ! Je ne compte plus

Il décline l’offre referme la vitre, apprend que Louis XVI a été arrêté. Retour à la case départ.

La suite on la connaît. Ce sera pour le prochain bouchon.

M. Odile Jouveaux

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