Les sons de mon histoire

Nous passions souvent les vacances d’été à la ferme de mes grands-parents. Les sons de ce lieu me reviennent à l’oreille : le caquètement des poules quand elles venaient de pondre, toutes fières de l’annoncer à la ronde ; le chant du coq le matin ; le meuglement des vaches à l’étable ou dans les champs quand on leur apportait l’eau et le foin ; le bruit métallique du premier jet de lait dans le seau ;

le chant des grillons dans la chaleur estivale. Pour les attraper, il fallait se laisser guider à l’oreille et s’approcher le plus silencieusement possible du bruit. Dès que le grillon cessait de striduler, cela voulait dire que nous étions près de son logement, un trou dans le sol. Il fallait alors explorer pour détecter l’orifice et l’attraper avec une brindille. Parmi les forfaits de notre enfance en matière de maltraitance animale, en plus des grillons celle des grenouilles. Dès que l’on entendait leur coassement dans la mare, nous les pêchions avec un filet à papillons. Les jours où il pleuvait, nous restions sous notre petite tente et entendions, délicieusement pelotonné.e.s à l’abri les gouttes tomber sur la toile.

C’est étrange comme les bruits de mon enfance sont présents alors que je perds la mémoire sonore en grandissant.

A l’école c’était le silence dans la classe. Interdit de parler ou la règle du maître s’abattait sur le bureau dans un bruit fracassant. Dans le silence résonnaient le grattement des plumes sur le papier, le crissement de la craie sur le tableau, le reniflement des nez enrhumés, la toux des bronchiteux. Tout s’emmêle, le miaulement de ma chatte le matin, son ronronnement quand elle se pelotonnait dans mon lit. Adolescente, je partageais ma chambre avec ma petite sœur. Elle a supporté patiemment mes folies, les délires sur la musique de Janis Joplin à fond, à faire éclater les tympans. Mes parents ont eu assez tard un Tepaz, peu de disques à la maison. Un seul pour les enfants, l’histoire de Delphine et Marinette qu’on se repassait en boucle ; trois disques des trois chanteurs préférés de ma mère, Gilbert Bécaud, Georges Brasses et Léo Ferré. L’univers sonore à la maison c’était très peu la musique mais beaucoup la radio : Zappi Max, les chansonniers, le journal et les infos pendant lesquelles il fallait se taire. On ne rigole pas avec les bruits du monde. Puis la télé a supplanté la radio, une chaine noire et blanc, les speakerines qui annonçaient le programme, Cinq colonnes à la une. Mon père ne ratait jamais une de ces émissions.

Les années soixante, l’époque des sorties entre copains, copines, les slows langoureux Only you; la révolution Beatles, le jazz avec John Coltrane, le blues et les manifs contre la guerre du Vietnam. Enfin, Mai 68 ! Les occupations, les grenades lacrymo, les marches sur les pavés. On refait le monde. Mais on veut aussi voir ailleurs, comment il est ce monde. Ce sont mes premiers voyages au son de la flûte orientale, le chant du muezzin au petit matin, les tamtams, la cora africaine, le rythme des pieds nus dans la poussière. Dans les villages du pays Dogon. Du toit terrasse où l’on dort parviennent les premiers bruits au petit matin : d’abord l’âne qui braie, puis le pilon des femmes déjà au travail. Peu de temps après elles vont en chantant chercher de l’eau portant sur la tête canaris et jerricans.

La vie dans un immeuble c’est rigolo pour les enfants mais c’est bruyant. L’insonorisation on ne connaissait pas. On profitait de la vie des voisins, de leur radio, des disputes, des cris des bébés et des enfants. Jamais seule. En même temps que les cavalcades sur le lino au-dessus de nos têtes, arrivait jusqu’à nos narines l’odeur du couscous de la voisine d’en-dessous. La même hurlait par la fenêtre pour rapatrier sa progéniture aux heures des repas. Tous les enfants jouaient alors sans surveillance et sans problème, en bas dans la cour de l’immeuble.

J’ai toujours aimé l’eau, prendre des bains, des douches, des bains de mer, écouter le ruissellement et le ricochet du torrent sur les rochers. Je pourrais aussi parler des heures à écouter les chants des oiseaux, le bruissement des feuilles dans le vent.

Mais dans la ville je n’entends plus qu’une cacophonie. Des klaxons, des motos des voitures, bus, métros, freins se mélangent, agressifs et désagréables. L’habitude est peut-être venue de me boucher les oreilles jusqu’à devenir sourde au brouhaha urbain.

Sur le tard, j’ai retrouvé les bruits de mon enfance, ceux de la nature, pourtant dans la ville. Dans ce quartier des poules caquettent. Un coq chante. Dans la mare du petit bois près de chez moi des grenouilles coassent et font un bruit d’enfer en s’envoyant en l’air au printemps. Je rééduque mon oreille à reconnaître les oiseaux à leur chant comme à reconnaître les noms des fleurs et des arbres.

Dominique Pierre

Laisser un commentaire