Avant …

Elle cherche l’horizon mais tout est obstrué par des murs de béton.
Le bruit des vagues lui revient en premier mais ce n’est qu’un bruit : où est la mer ? Qu’ont ils fait de l’horizon ?
Elle avait gardé tellement de souvenirs. L’air saturé d’iode lui chatouille les narines.
Elle ferme les yeux et entrevoit les images d’avant : un scooter cahotant sur les sentiers caillouteux, un pneu crevé sur une route, les paysans accourant avec des chaises pour que les filles puissent s’asseoir, de l’eau et du raisin.

Elle était venue retrouver cette beauté, le lagon de Balos, les étendues sauvages parsemées de moulins blancs, la grotte où Zeus vécut caché, des lieux d’histoire et de beauté, la palais de Knossos et son roi Minos, fresques revisitées, décors de théâtre..
L’horizon est bouché, les hôtels quatre étoiles aux façades d’un blanc immaculé rivalisent avec les super et hypermarchés construits pour les touristes de plus en plus nombreux.
Un pèlerinage au goût amer, celui de la déception. Elle avait été fascinée par la civilisation crétoise ingénieuse et raffinée mais le raffinement et la beauté ont dû faire place à l’appât du gain.
Elle ne restera pas; elle laisse derrière elle les murs bétonnés et les barres d’acier.
Elle ne souhaite plus que retourner sur les lieux de son enfance, là où elle a encore des chances de trouver la paix.
Dix ans qu’elle n’y est pas allée. La rivière a changé de place, ils ont réussi à faire ça!! On déménage même les rivières maintenant…
Ils lui ont paraît-il redonné son lit originel. Tout a été fait pour attirer le touriste, là aussi.
C’est joli, c’est propre, c’est net, l’herbe est bien coupée, rien ne dépasse. De jolis écriteaux ont été placés là pour expliquer la faune et la flore des lieux.
En face, l’abbaye, toujours majestueuse, toujours blanche sous le soleil; elle y a passé tous ses jeudis après midi, à grimper dans les tourelles pour voir le village d’en haut, à attendre que les cloches sonnent et que leur son l’envahisse toute entière.
Les moines ont la même allure qu’il y a cinquante ans, tout a changé sauf eux. On ne transforme pas les moines..
Étrange sensation que de revenir sur les lieux qui faisaient partie de son quotidien ; elle s’est éloignée et ils en ont profité pour tout changer.
Elle se rappelle les herbes hautes, les bottes de foin dans lesquelles elle plongeait, les forêts de feuillus, les cabanes dans les arbres, ce puissant sentiment de liberté qu’elle éprouvait alors, au sein de cette nature qui l’a vu grandir.
Elle s’est éloignée et ils ont tout changé; avant c’était moins propre, avant c’était plus beau, avant ça sentait meilleur.

Clarysse

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