Au bord de la Gagnières

Quand j’écrivis les pages suivantes, ou plutôt en écrivis le principal, je vivais seule, dans une clairière pleine de lumière, à un mille de tout voisinage, en une maison que j’avais bâtie moi-même en pays ardéchois, au bord de la Gagnières, rivière torrentueuse qui tire son nom des pépites d’or qu’elle abrite et ne devais ma vie qu’au travail de mes mains.
J’habitais là deux ans et deux mois; à présent me voici pour une fois encore de passage dans le monde civilisé.
Ce n’est pas la Gagnières qui me procurait de quoi vivre. En effet les pépites d’or n’ont d’intérêt que pour celui qui aime l’argent ou qui souhaite en gagner ; or l’argent ne m’intéressait guère.

Je voulais simplement que ma nourriture provienne de mes mains et de mon labeur; un besoin absolu de communion avec la nature, de retrouver l’essence même de la nature humaine, survivre par soi même.
J’avais défriché un petit bout de terre, en contrebas des deux grands rochers plats qui surplombaient le torrent.
En me promenant un peu plus loin, là où la rivière est plus calme, j’avais repéré du fenouil et des asperges sauvages et en ramenai quelques pieds que je replantai.
Partout poussait le plantain, les orties et les pissenlits.
Des merisiers, ronciers et figuiers me fournissaient l’essentiel de mes besoins en vitamines.
Les châtaignes, riches en amidon, étaient un excellent coupe faim.
Le matin, je prenais ma douche sous la cascade qui se jetait de la montagne, en amont.
Il me fallait quelques protéines. Je m’étais donc entraînée à la pêche en rivière, telle que la pratiquaient les indiens : la pêche à la main; il me fallut beaucoup de temps, d’observation et de patience pour attraper mon premier poisson; mais alors quelle joie et quelle fierté j’éprouvais alors.
Pour la viande, il me suffisait d’un lapin de temps en temps, pris au collet. La nature me fournissait tous mes besoins.
Pourquoi m’étais je imposée cette existence ?
Il me semblait que jusqu’alors, mon esprit était envahi de futilités, tout m’était donné, procuré en échange d’argent que je gagnais à un travail dont je ne comprenais même plus le sens. Là je me levais avec le jour, me couchais avec le soleil et ne m’ennuyais jamais, trop occupée que j’étais à organiser mes moyens de subsistance. Il me semblait que cela avait un vrai sens.
Quelques chercheurs d’or passaient parfois par là avec leur tamis. Je les saluais de loin mais ne ressentais pas le besoin de leur parler.
Je passais de longues heures à regarder le soleil se coucher ou à suivre la marche lente et sinueuse des chenilles processionnaires.
J’avais la sensation d’être parfaitement vivante, d’utiliser tous mes moyens, en accord avec la nature, pour ressentir le plaisir d’être en vie.

Clarysse

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