Paysages

Sur un morceau de lande qui s’avance vers la mer, un petit sentier creusé par les pas des hommes se tortille vers l’horizon ; l’herbe est presque rase, balayée par les assauts fréquents du vent marin.

Le ciel est limpide et vide de tout nuage. Au loin sur l’horizon, une légère brume de mer, fines gouttelettes suspendues dans l’air.

Une lumière crépusculaire envahit le ciel ; bout de terre qui se jette dans la mer, pointe à l’herbe rase, désertée de tout être vivant.

Pour seul bruit le ressac incessant des vagues qui frappent les rochers.

Les oiseaux sont encore endormis, leurs chants accompagneront le lever du soleil ; l’odeur des algues est puissante, apportée par la brise légère qui monte de la mer.

Je m’évade derrière la colline là où le chemin s’affine, là où s’envolent les mouettes, là où la mer les appelle ; le jour commence à peine à délaver le ciel, la musique m’emporte à contre courant.

Un monde, ailleurs, mystérieux, m’attend. Ma survie ne tient qu’à un fil et je le sais.

Ma curiosité me pousse pourtant à aller plus loin ; le ciel m’appelle, tout m’est devenu léger, j’ai quitté la lourdeur de la terre.

En bas, les bateaux passent, minuscules petites fourmis. Heureuse de partir, je me laisse guider par la musique, je danse, je saute et je bascule. Je suis dans un vaisseau spatiale, la pesanteur n’existe plus.

Je me marre de voir les hommes se débattre avec leur petite vie si absurde. Pour moi tout est devenu facile ; j’arpente le monde en mode panoramique.

Le jour va se lever et la lumière est belle ; je suis devenue une caméra qui se promène autour de moi-même ; tout me paraît si clair et si juste.

Ce bout de lande qui m’a projetée dans la lumière, m’a plongée dans une seconde vie où j’ai enfin découvert la vérité. J’ai passé mon existence à me demander ce qu’est la mort et surtout quel est le sens de la vie.

Plus bas, les bruits du monde s’adoucissent encore ; je perçois clairement la marche des choses ; le grouillement des humains aux prises avec l’agitation de leur vie me semble absurde et dénué de sens.

La musique m’absorbe à nouveau, je laisse les notes me pénétrer et descendre dans mon corps ; je n’avais jamais su l’écouter si intensément, j’étais impuissante et incapable de m’abandonner entièrement à la beauté.

Ce bienfaisant état de grâce m’est difficile à définir autrement que comme une sorte d’extase et une clairsentience absolue. J’ai plus de souvenirs que si j’avais vécu mille ans et je me souviens de la vie de tous les humains ; je suis un énorme cerveau qui a englouti toutes les informations du monde.

Je glisse encore et perd définitivement toute accroche. Le jour se lève et pourtant tout redevient noir ; la musique s’est soudainement tue. Je me sens aspirée et remonte sur la terre ferme avec un fort sentiment de violence ; je réalise avec une douleur intense que ma vie n’a été qu’une vaste farce inutile et je refuse de tout mon être de continuer la mascarade.

J’ai perdu l’équilibre et l’harmonie ; le bruit des vagues me revient en premier et l’air saturé d’iode chatouille mes narines. Je sais que si j’ouvre les yeux, je vais revenir à la vie.

Clarysse

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