Celui qui voulait partir

Les pétales bleu pâle jonchaient le sol, comme nous en voyions autrefois sur les chemins qu’empruntait la procession de la Fête-Dieu. Et c’était l’époque où il revenait à la charge.

Parfois des fidèles échangeaient un baiser lorsqu’ils se joignaient au groupe.

Ce geste intime aurait surpris dans bien des pays ; ici il n’était que le témoignage d’un partage sans ambiguïté.

Arrivés au calvaire nous nous dispersions et la plupart repartaient par les rues peuplées de matous sommeillant au soleil.

Ces énormes chats, souvent noirs, parfois roux ou encore rayés de gris, tenaient le haut du pavé et régnaient sur la rue plus que tout autre.

Parfois des rats se faufilaient entre les cageots abandonnés sur les quais.

Nous nous voulions indifférents, mais, malgré tout, ces animaux, insaisissables et qui narguaient les félins nous faisaient parfois frissonner.

Ainsi, notamment du fait de ce monde animal, le port paraissait presque surpeuplé.

Pourtant, quelque chose y manquait, sans que nous sachions vraiment quoi. En fait, je crois que c’était l’absence des femmes.

Celles-ci, dans la campagne, s’activaient aux cueillettes indispensables à l’économie locale et qui seraient ensuite rapportées au village.

Les noisettes, étalées à l’infini le long des routes, séchant au soleil, constituaient par leur vente, un appoint essentiel à ces pêcheurs que la mer ne suffisait plus à nourrir.

Ensuite, en fin d’après-midi, nous longions les quais, conscients que quelqu’un ne tarderait pas à nous rejoindre.

Nous savions qu’il ne manquerait pas d’arriver, présence inévitable et pourtant peu appréciée.

Il avait cette constance à venir, à chaque fois, malgré notre sourde hostilité .

Nous l’imaginions s’agaçant du silence qui l’accueillerait.

Quand enfin nous acceptions de le prendre en considération, il se dressait comme un coq sur ses ergots.

Il nous jetait des coups d’œil méfiants, hésitant, et pourtant il savait se faire entendre assez rapidement.

Il nous parlait d’Ankara, comme s’il était certain que nous l’aiderions à y aller.

D’Ankara, bien sûr, mais aussi d’Istanbul, car l’une et l’autre de ces villes lui importaient.

Enfin, il avouait d’un ton contraint, n’avoir pas les moyens de payer son voyage.

Alors nous levions les yeux au ciel, nous multiplions les mimiques offensées, nous exaspérant de cette scène trop souvent jouée.

Il affirmait alors avoir des relations en ville, prêtes à rembourser les frais que nous engagerions pour lui.

Nous dissimulions nos sourires entendus et gardions l’air sérieux, sans pourtant le croire ni penser un seul instant à l’aider, car nous le savions peu fiable et encombré de son rêve sans qu’il se donne les moyens de le réaliser.

Dominique Benoist

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