Le fil d’Ariane

Longtemps j’ai cru que j’y arriverai. Je ne m’en suis pas vraiment rendu compte. C’est arrivé petit à petit. Au début il y a eu cette déflagration brutale, suivie d’un silence étrange, lourd, presque palpable. Hébétée de stupeur, impression insolite d’être dans un tunnel, allongée sur le sol, vide autour, vide en soi, je ne ressens rien. Je n’éprouve rien. J’ouvre les yeux, noir absolu autour de moi. J’attends, je tente vainement de rassembler des bribes d’images, de sons, des paroles, des mots. Je me suis dispersée, disloquée. L’angoisse fait sont entrée me rappelle alors que je suis bien vivante. Elle m’étouffe me prend à la gorge me sort violemment de ma léthargie.

Voilà que le cœur s’emballe. Le souffle se fait court et profond. Je remonte à la surface tente vainement de trouver une sortie. Coupée du monde, coupée de moi, je ne comprends pas ce qui m’arrive. Au fond du labyrinthe je cherche en tâtonnant une issue, une sortie. Je tente de crier mais j’ai perdu ma voix, je me suis perdue hors du temps, hors de moi. Entre vie et mort. Je me lève doucement m’appuie contre le mur poisseux. Vertiges, hauts de cœur, la nausée me saisit. Comment me sortir de ce cauchemar éveillé ?

Je me parle, je divague. Mon corps à son tour se met à vibrer. Pas à pas j’avance à tâtons. Les mains appuyées sur le mur glissent lentement sur la paroi. Le chemin est si long, je m’arrête parfois, appuie le front sur le mur : respire, respire ! Je m’éloigne lentement du lieu de la chute, respire, respire ! Les larmes viennent alors brouillent la vue, soulagent le cœur, épuisent le corps. Je remonte doucement du fond de l’épouvante. Des sanglots résonnent et se perdent en cascade au tréfonds de ma nuit, c’est bien la mort que j’ai croisée, je m’en suis libérée. À quand le prochain rendez-vous qui m’entrainera dans le monde de la nuit ?

M. Odile Jouveaux

Nœud de Möbius

Sous-bois, boiserie, ribambelle, belliqueux, queue de pie, pissenlit, lie de vin, vingtièmement, mentir comme on respire, pirouette, éthymologie, j’y arrive presque, quereller, lait de vache, acheter, termophile, filer droit, droit devant, vent d’Ottan, tandem, démonstration, scions du bois, boire un coup, coup de bambou, bout d’chou, choucroute, croupir, pirouette, être ou ne pas être, étriqué, qu’est ce que c’est, cétose, oscar, cartouche, touche pas à mon pote, poterie, risotto, tôt ou tard, tartiflette, flétri, trissant, sans le sou, sous-bois, boiserie, ribambelle….

Clarysse

Le labyrinthe intime

Longtemps j’ai cru que j’y arriverais mais je me suis retrouvée prise au piège de mes propres recherches.

J’avais entrepris de construire l’arbre généalogique de ma famille côté paternel, mais très vite il s’est avéré qu’il s’imbriquait dans celui du côté maternel. La chose fut d’autant plus malaisée que souvent l’ordre des prénoms de l’État civil n’était pas respecté et que, au gré des écritures un Alphonse se transformait en Émile ou qu’un tréma faisait son apparition sur une lettre, et que la maudite manie de donner le prénom du père au fils premier né embrouillait encore davantage les recherches.

Au commencement c’est la mort imminente de mon père qui avait initié ce désir, partant du constat très simple que l’histoire familiale se perdrait sans traces tangibles pour la relater. D’autant que sa mémoire largement défaillante devait être ravivée, sans grand espoir hélas, pour entretenir encore un dialogue possible.

J’ai depuis largement appris sur cette maladie, de plus en plus répandue puisqu’il semble que près de deux millions de personnes en seront atteintes à l’horizon 2030. Ce n’est pas que j’aime particulièrement les statistiques mais un ami, spécialiste en éthologie m’a affirmé que ces projections étaient sans doute fiables.

Il est vrai qu’il s’est rarement trompé. Déjà lorsque nous étions au lycée ensemble, son attrait pour les mathématiques et les modèles algorithmiques nous fascinait.  Quant à moi, c’était plutôt la philosophie, mais, puis-je le dire sans rougir, c’était plutôt ce jeune prof de philo qui m’attirait. Comme tous les profs de philo sa particularité vestimentaire était remarquable : toute l’année il alternait invariablement deux costumes en velours côtelé, l’un vert bouteille, l’autre marron foncé. Il fumait sa cigarette dans le couloir à la récréation et un taxi l’attendait le samedi midi pour l’amener rapidement à la gare du Havre pour regagner Paris.

C’est peut-être lui qui m’a donné le goût de la réflexion et encouragé à suivre mon chemin intérieur.

Quoiqu’il en soit cette recherche généalogique m’accapara de longs mois. Attablée à la table de mon ordinateur, il m’est arrivé de rester sur l’écran une bonne partie de nuits sans sommeil. Il faut dire que la sortie d’un nom en entraine un autre qu’il faut suivre jusqu’au bout en remontant de proche en proche jusqu’à sa naissance.

J’ai découvert à cette occasion les Archives Départementales : une mine insoupçonnée qui évite les déplacements en mairie comme autrefois. Ici, tout est numérisé et en un clic… quelle n’est pas l’excitation lorsqu’apparaît tout à coup l’ancêtre tant recherché !  Mais il convient de vérifier les noms des parents, les lieux de naissance, de mariage sinon retour à la case départ, c’est un homonyme ou un lointain cousin d’origine incertaine. Ce jeu de va et vient sans cesse recommencé m’a souvent fait noircir des pages de notes avec des noms barrés, des flèches, des mentions d’erreur, des encadrés en rouge pour à la fin constater que la branche ainsi déployée ne me concernait pas !

À la faveur de ce jeu de prénoms j’ai eu la surprise d’en apprendre quelques- uns tout à fait insolites ; ainsi en 1794 un ancêtre avait appelé ses deux filles Sororité et Égalité dans la minuscule commune dont il était le tout premier maire. Commune par ailleurs aujourd’hui disparue puisque la loi de simplification des communes de France en 1824 les a réduites à 36000. Ce qui ne facilite pas la tâche puisque par exemple Buglise a été absorbée par Cauville sur mer, que Franqueville et Saint Pierre ont fusionné en Saint Pierre de Franqueville puis en Franqueville saint pierre. Pour qui s’intéresse à l’évolution des noms la patience est de règle. Bref, dans ce labyrinthe inextricable, la persévérance dont j’ai réussi à faire preuve m’a, je l’avoue, étonnée moi-même.

Je suis en effet d’une nature plutôt impulsive et me reproche souvent mes réparties malencontreuses dans certaines situations. J’en veux pour preuve la sortie déplacée à l’encontre d’une amie qui avait perdu un enfant très jeune, ce que j’ignorais je dois le dire à ma décharge.

Mais là je restais des heures devant l’ordinateur à cliquer sur les communes du département, à ouvrir les pages d’état civil, années après années, à examiner à la fin de chaque décennie les naissances les mariages, les décès, les reconnaissances d’enfants.

C’est ainsi que je me suis rendu compte à quel point la guerre de 1870 avait fait des ravages dans notre région, le nombre de décès d’hommes jeunes atteignant des chiffres impressionnants.  Un autre détail m’a aussi interpelée : il existait des communes protestantes et des communes catholiques, répertoriées sous cette appellation jusque récemment. J’en fus d’autant plus étonnée quand j’entendis un vieux cousin m’en apporter la confirmation au détour d’une conversation. C’est fou ce que l’on apprend de choses lorsqu’on fait des recherches, on tire un fil et c’est une pelote entière que l’on dévide.

Surprise je le fus aussi en découvrant des enfants illégitimes en grand nombre dans les villages. Un en particulier à la base de mon patronyme m’avait donné du fil à retordre puisqu’inscrit d’abord sous le nom de sa mère, il ne fut légitimé que plus tard lors du mariage de celle-ci et prit le nom du mari. La porte du labyrinthe s’était tout à coup ouverte par cette découverte.

J’avais aussi été satisfaite de savoir que le bâtard, comme on disait à l’époque, était à la source de mon propre nom ce qui me mettait en position pour le moins ironique face aux oncles et tantes qui faisaient un tel cas de la vertu de leur progéniture !

Bien d’autres surprises m’attendaient comme le constat que pendant l’année 1841 sur les treize enfants d’une famille, douze sont morts la même année y compris deux petits enfants ! Sans doute une épidémie, un empoisonnement que sais-je ?

L’écho lointain de tout ce foisonnement familial résonne encore en moi de toutes ces empreintes inscrites dans mon ADN.

Josette Emo

Le labyrinthe

iStockPhoto

Longtemps j’ai cru que j’y arriverais. Y pensais-je déjà, entortillonné au bout de mon cordon ? Je ne sais pas, mais à peine défait de ce lien, j’ai chu au plus profond de moi-même, au centre de mon cerveau, dédale anxiogène de méninges, carrefour de connexions infinies, centre névralgique de la pensée, dans lequel aujourd’hui, je reste encore englué.

Au plus loin de mon histoire, je cherche l’eurêka, je cherche la lumière, le bien-être peut-être, le bon sens sûrement, la paix intérieure sans aucun doute, ou encore l’amour absolu.

Mais cette initiation est une prison inextricable. Alors, j’en veux à celui qui a créé la semence, me disant, à quoi bon puisqu’elle redeviendra poussière. J’en veux à mes propres gamètes, à mon propre spermatozoïde qui s’est perdu, même s’il pense avoir trouver son chemin en faisant moi-même, car finalement je me sens toujours aussi perdu dans l’ineffable recherche. Souvent dans cet enchevêtrement reptilien, j’erre à la quête de l’inconditionnel, mais cet inconditionnel sans-cesse déstructure mes convictions et forge mon angoisse.

Souvent j’emprunte des tunnels où je rencontre d’autres âmes dans l’errance qui me racontent que, sur leurs routes, ils ont attrapé un bonheur, mais que celui-ci a fini par leur échapper, faute de n’avoir pu le fixer, ni même l’accrocher au fil. Parfois dans ces méandres méningés, passe un train que j’emprunte – allègre et plein d’espérance – qui m’emmènera vers la lumière, mais là encore, au contraire, il s’enfonce comme les métros qui plongent dans les profondeurs de la terre, sous les vastes mégalopoles. Parfois, comme dans un palais des glaces, je devine l’extérieur, je devine l’amour et je me mets à courir sans anticipation, et sur les parois je m’écrase.

Alors, je crie, mais je n’entends que l’écho de ma propre voix, l’écho de mes propres rêves.

Longue est l’épreuve, épreuve infinie qui ne s’arrête jamais. Pour lors, au plus profond de mon cerveau, je circonvolutionne mes méninges, doutant de l’absolu. Et les années passent, passent et je reste dans ce complexe indémêlable.

Je pense à Pierre matérialiste invétéré mais qui a fini par un grave burn-out. Je pense à Paul qui a connu les femmes, mais qui était fou de masturbation. Je pense à Louis, le grand sportif qui est maintenant obèse et vit dans les douleurs. Je pense à Johnny qui a connu la gloire, mais qui a fini dans l’alcool. Je pense à X et à Y, que je trouve tristes et amers, malgré les apparences.

Alors je m’écarte pour prendre la voie d’à côté, où l’herbe semble plus verte, mais en réalité, rien ne me rassure, rien ne m’apaise comme si, l’on avait obstrué toutes les sorties du labyrinthe. J’ai pourtant l’impression, qu’à côté de ce labyrinthe, existe autre chose, une cellule grise m’en a parlé comme du contentement, mais voilà, c’est à l’extérieur du labyrinthe, et le labyrinthe est bouché. Oui, longtemps j’ai cru que j’y arriverais, parfois encore, j’avance, je tâtonne, j’envie puis je me raisonne voyant l’ailleurs, sachant qu’ils sont tous, dans leur propre labyrinthe et, qu’eux aussi redeviendront poussière sans avoir vraiment trouver le bout du tunnel, l’amour absolu.

Didier D’Oliveira

Gientresundeux

Les ancolies et les jacinthes pointaient dans les jardins, promesses d’éclairs dans toutes les nuances de bleu. Sous nos fenêtres, le geste affectueux entre ces marins rudes, burinés par les intempéries, allant et venant tranquillement sur la place était inhabituel pour nous, voyageurs occidentaux, peu habitués à l’expression de la tendresse amicale entre hommes en public. De forts effluves se dégageaient des ordures chauffées par le soleil de juillet, pénétrant la nuit dans les maisons, poussés par le vent d’ouest qui se levait chaque soir au crépuscule. De gros rongeurs, visibles même en pleine journée, étaient pourchassés par des enfants en haillons qui recevaient une prime en friandises à chaque prise. Tout était là : la luxuriance de la végétation, la crasse au soleil, les humains vaquant à leurs occupations selon leur âge, et le vent emportant chaque soir au loin les bruits et les parfums.

Le rituel du policier était si bien installé que nous finissions par nous inquiéter lorsqu’il tardait à s’annoncer. Après les grattements sur la porte de la chambre, les coups de poings faisaient fuir les geckos rêveurs qui pullulaient au plafond, en attente d’insectes suicidaires. Toujours la même proposition, toujours en turc ; nous mimions à chaque fois notre incompréhension de la langue. Immanquablement, un voisin de chambre traduisait la proposition de change de dollars au marché noir, puis nos dénégations indignées et, dans un éclat de rire, nous présentait le visiteur : c’est la police secrète …

Danielle Fayet

Entre couleurs et courage

Quel courage elles ont, celles qui marchent ainsi, toutes ces femmes si semblables et que ne distinguent que leurs foulards colorés, tous différents dans leurs teintes !

On les appelle folles. Ce sont des mères ou des grands-mères, le plus souvent.

Elles marchent tout autour de la place. La place de Mai. Joli nom, joli mois de printemps.

Devant Maria il y a Valentina, et Florencia la suit, et Anita, Angelina…

C’est la place de Mai, et pourtant parfois il pleut, il vente. Qu’importe, elles sont là chaque fois, régulièrement.

Parfois, les foulards sont mouillés, l’eau coule sur les visages. L’eau coule sur les pancartes.

Elles ne crient pas, elles ne chantent pas.

Elles sont là !

Elles témoignent.

Elles demandent des réponses.

Les policiers aussi sont là. Désormais ils n’interviennent plus. Il y a eu trop d’échos dans la presse à l’étranger.

Elles marchent, parfois elles se tiennent par la main.

Les foulards sont la seule touche de couleur, taches roses, vertes, bleues, orange, jaunes, ocre… Tout un arc-en-ciel de couleurs dans le jour gris.

Un jour elles gagneront ce qui peut encore être gagné : informations ou beaucoup plus, comme les retrouvailles avec un petit-fils arraché à sa famille.

Mais avant, il faudra marcher. Beaucoup. Longtemps.

Elles marchent.

C’est la place de Mai, toute en couleurs et toute en courage.

Dominique Benoist

Celui qui voulait partir

Les pétales bleu pâle jonchaient le sol, comme nous en voyions autrefois sur les chemins qu’empruntait la procession de la Fête-Dieu. Et c’était l’époque où il revenait à la charge.

Parfois des fidèles échangeaient un baiser lorsqu’ils se joignaient au groupe.

Ce geste intime aurait surpris dans bien des pays ; ici il n’était que le témoignage d’un partage sans ambiguïté.

Arrivés au calvaire nous nous dispersions et la plupart repartaient par les rues peuplées de matous sommeillant au soleil.

Ces énormes chats, souvent noirs, parfois roux ou encore rayés de gris, tenaient le haut du pavé et régnaient sur la rue plus que tout autre.

Parfois des rats se faufilaient entre les cageots abandonnés sur les quais.

Nous nous voulions indifférents, mais, malgré tout, ces animaux, insaisissables et qui narguaient les félins nous faisaient parfois frissonner.

Ainsi, notamment du fait de ce monde animal, le port paraissait presque surpeuplé.

Pourtant, quelque chose y manquait, sans que nous sachions vraiment quoi. En fait, je crois que c’était l’absence des femmes.

Celles-ci, dans la campagne, s’activaient aux cueillettes indispensables à l’économie locale et qui seraient ensuite rapportées au village.

Les noisettes, étalées à l’infini le long des routes, séchant au soleil, constituaient par leur vente, un appoint essentiel à ces pêcheurs que la mer ne suffisait plus à nourrir.

Ensuite, en fin d’après-midi, nous longions les quais, conscients que quelqu’un ne tarderait pas à nous rejoindre.

Nous savions qu’il ne manquerait pas d’arriver, présence inévitable et pourtant peu appréciée.

Il avait cette constance à venir, à chaque fois, malgré notre sourde hostilité .

Nous l’imaginions s’agaçant du silence qui l’accueillerait.

Quand enfin nous acceptions de le prendre en considération, il se dressait comme un coq sur ses ergots.

Il nous jetait des coups d’œil méfiants, hésitant, et pourtant il savait se faire entendre assez rapidement.

Il nous parlait d’Ankara, comme s’il était certain que nous l’aiderions à y aller.

D’Ankara, bien sûr, mais aussi d’Istanbul, car l’une et l’autre de ces villes lui importaient.

Enfin, il avouait d’un ton contraint, n’avoir pas les moyens de payer son voyage.

Alors nous levions les yeux au ciel, nous multiplions les mimiques offensées, nous exaspérant de cette scène trop souvent jouée.

Il affirmait alors avoir des relations en ville, prêtes à rembourser les frais que nous engagerions pour lui.

Nous dissimulions nos sourires entendus et gardions l’air sérieux, sans pourtant le croire ni penser un seul instant à l’aider, car nous le savions peu fiable et encombré de son rêve sans qu’il se donne les moyens de le réaliser.

Dominique Benoist

Aimer entre ton vide et mon mouchoir

Normalement, je devrais aimer ton plein, ton plein d’humeur et d’énergie, ton esprit. Car, aimer, c’est aimer tes yeux, ta voie, ton corps, ton odeur, le son de tes vibrations, l’odeur de ta peau, l’odeur de ton intimité. Aimer ton plein est donc naturel, mais aimer ton absence, même quand tu es présente, c’est choisir entre ; aimer ton vide et aimer mon mouchoir. Étrange mouchoir, mouchoir refuge de mes larmes. Larmes qui refusent le vide et, qui ne peuvent s’empêcher de rechercher ton image, le plein de ton être. Image vidée de ton amour, mais image active de nos amours.

Goût sucré de mes larmes qui, me rappelle le miel de ta peau. Mouchoir collecteur dont je ne peux me séparer.

Aimer ton vide est mieux que t’oublier car, dans ton vide, même quand tu es près de moi, j’entends ta voix et même ton rire, même si ton rire s’étouffe au fond de mon mouchoir. Ah ! Ce mouchoir qui est né, lorsque tu as créé ton vide, cette espèce d’espace de cloisonnement, cet espace de labyrinthe où tu as su te cacher, voulu te réfugier.

Ce mouchoir est devenu toi, j’y respire, comme je respirais tes essences et je ne sais plus m’y retrouver entre toi ou, plutôt ton vide et mon mouchoir trop plein de mes chagrins.

Masochisme du philtre d’amour, qui bien que saturé a fini par se déchirer, pour répandre en partie sa substance dans le néant, mais dont l’essence reste prégnante au travers de mon mouchoir.

Qu’en serait-il mouchoir, si toi aussi saturé de mes émotions, je finissais par te perdre. Me resterait-il ton odeur, ton empreinte ? 

Je crois que oui, car d’elle qui, ne me présente que son vide, je continue de l’aimer.

Aussi, je ne me résous pas à le jeter, bien que de tendre doudou, il soit devenu éponge, sachant qu’il représente le plein et elle – le vide, mais qu’en cet état, je peux encore aimer. Vide de sa présence ou plein de ses absences, mouchoir encore un peu.

Didier d’Oliveira

Se glisser entre deux

Le printemps avait laissé place à l’été. L’air était sec et le soleil impitoyable annihilait toute volonté.

Les immeubles embrasaient de leur grand corps de béton la verdure clairsemée ; les bacs à sable étaient vides, attendant le réveil des enfants. Le soleil n’avait pas encore dépassé les toits.

Les sacs poubelles s’entassaient dans les rues étroites ; l’odeur montait jusqu’aux fenêtres, oppressante, écrasante, omniprésente.

La place était encore vide, vibrant sous l’assaut des mouches, dans un balai bien orchestré.

Un obscur voile de déchéance et d’oubli me donnait la sensation d’un abandon total ; j’éprouvais une déception difficile à décrire, qui ne se laisse pas définir, dépassant ce que les mots peuvent exprimer, l’impression de flotter, tel un navire sans capitaine.

Le souvenir de l’homme qui m’avait abordé la veille, revenait me hanter. Il n’avait pas supporté l’impuissance, sa responsabilité était à la mesure de sa virilité ; sa colère avait été terrible devant mon refus.

Il souhaitait m’aider, m’avait-il dit ; j’étais seule dans cette ville peuplée d’individus qui me paraissaient tous plus étranges les uns que les autres, errant de ci de là, cherchant à tromper l’ennui.

Je lui avais dit de m’attendre dans la rue, au pied de l’hôtel, que je devais juste rejoindre ma chambre pour me changer, que j’en avais pour un quart d’heure mais je n’avais pas l’intention de redescendre…

Son apparente tranquillité n’avait pas résisté longtemps au poids de ses pulsions et il était monté, avait enfoncé ma porte.

Rapidement on se retrouvait dans l’ambiance ; pas de faux semblant ; j’avais l’impression de me retrouver dans des rapides, tout sens de l’orientation envolé.

Évidemment, pourquoi aurait-il résisté à un peu d’aventure…

Ma sensation d’impuissance était assourdissante et en même temps libératrice ; j’étais exemptée de ma propre responsabilité.

Peut-être que finalement j’étais dans un mauvais polar.