Le vol

Parois abruptes

Sapins surplomb et vide

Vapeurs éthérées

Perchée au sommet de la paroi abrupte, je devine, à travers les lambeaux de brume diaphanes, les contours du torrent furieux qui dévale de la haute montagne. Le grondement sourd des masses d’eau qui s’écrasent sur les rochers en contrebas retentit dans la gorge étroite. J’imagine le galop d’un troupeau de chevaux blancs, je les vois crinières au vent, écumant de fatigue, ivres de la cavalcade effrénée qu’ils mènent depuis les sommets. Je suis fatiguée

de l’escalade qui m’a menée jusqu’ici, mes membres sont douloureux, mes mollets en feu mais la vue que j’admire est magique. Je m’assieds et ma respiration s’apaise, mes muscles se délassent. La brume se déchire un peu au gré du vent qui se lève et siffle entre les brèches. C’est un chant, ou bien l’appel d’un être isolé qui cherche à sortir de la grotte où il s’est caché. Est-ce la silhouette d’un homme que j’ai aperçue là-bas ? Un rayon de soleil éblouit la roche, teintes rouges, ocres, rosées. Le voile doré de la brume m’enveloppe et me réchauffe. J’entends le chant, il m’appelle, il m’attend. J’entrouvre alors timidement mes ailes, je m’ébroue et je me lance. Entre deux rubans de vapeur, je glisse, je glisse. L’air me porte, mouvements souples, me berce, un peu à droite, un peu à gauche. Je m’enhardis, je cherche les courants ascendants, jeux du vent, je plane, légèreté absolue. Oubliés les tourments, les soucis de la terre. L’air me purifie et me lave de ces liens absurdes qui m’entravent et me font vivre des nuits sans sommeil ou me ronge l’estomac. Je vole ; plus rien ne compte que la caresse du vent sur mon corps, le satin du glissement, le coton des sensations, la sensualité de ne plus exister. Perte d’identité ? Pièce d’identité ? Qu’est-ce que ça veut dire ? A-t-on jamais demandé un permis de voler à un oiseau ? Y a-t-il plus ridicule que l’être humain ? Oui sans doute, son reflet dans la glace quand il se ment tous les matins ou quand il se donne bonne conscience en déposant une petite pièce pour la viande hachée du chien du SDF. L’oiseau se contente de faire ce qu’il sait faire, rien de plus ni de moins, d’exister depuis le jour où il a crevé de son bec la coquille de son œuf. Vole, oiseau, vole, je te suis, je batifole, folle, je suis folle de vie, folle d’envie, folle du vide qui m’appelle et je vire, je volte, je virevolte, je frôle la cime des maigres sapins accrochés comme ils peuvent à la montagne escarpée. Leurs branches m’accueillent, je me repose, j’observe, le cœur léger, l’harmonie des éléments me gagne, je ne suis plus qu’une plume qui raconte une belle envolée.

Annie Brottier

 

 

 

 

 

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